Hervé Nifenecker
(texte déjà publié sur la chaîne Energie de l'Expansion)
L’évacuation de zones à la suite d’un accident nucléaire semble devenir une mesure automatique, éventuellement définitive, sans concertation avec les populations locales et sans garantie de bien régler les douloureux problèmes de réinstallation.
En fait, ce sont bien souvent des décisions prises pour complaire à l’opinion publique, nationale et internationale, sans tenir compte des réalités de terrain. C’est aussi un alibi pour ne pas s’attaquer résolument à la question de la décontamination et de la réhabilitation des terrains.
Des règles moins médiatiques mais beaucoup plus conformes à la réalité de la radioactivité pourraient être prises.
Par exemple, une évacuation pourrait être décidée pendant le temps nécessaire à ce que la situation de la radioactivité soit stabilisée. Une fois cette stabilisation atteinte et les niveaux de contamination précisément mesurés, les habitants devraient pouvoir revenir chez eux, s’ils le désirent, après qu’ils aient été dûment informés des risques encourus. Ceux qui n’accepteraient pas devraient se voir offrir une solution par les autorités, allant jusqu’au rachat de leur logement au prix du marché d’avant l’accident.
Est-ce une position choquante et irresponsable ? Regardons les faits.
A Fukushima, le refroidissement des cœurs dégradés étant assuré, les rejets de radioactivité sont pratiquement terminés. On peut donc considérer que la contamination des sols a atteint un palier. Une cartographie détaillée des niveaux de radioactivité a été déterminée par les Américains grâce à un survol par hélicoptère des zones contaminées.
A partir de ces cartes, l’IRSN a calculé les doses annuelles que recevraient les populations qui viendraient se réinstaller. Ces doses varieraient entre 5 et 30 mSv/an. Que représentent de tels niveaux?
Rappelons que, selon les normes appliquées en France, le niveau au-delà duquel le public au sens général ne doit pas être exposé est de 1 millisievert par an (1 mSv)/an), et qu’il y a une tolérance de 20 mSv/an pour les professionnels exposés à des rayonnements. Il est à noter qu’il s’agit là d’exposition à des irradiations provoquées par des activités humaines, donc en addition à la radioactivité naturelle. Celle-ci est estimée, en moyenne mondiale, à 2,4 mSv/an, mais avec des zones où elle peut grimper jusqu'à 30 ou 40 mSv/an. Le Brésil, l'Iran, l'Inde comportent de telles zones à radioactivité forte, et la Bretagne est connue pour ses massifs granitiques qui font aussi monter les taux. Comme il s’agit d’une radioactivité naturelle, nous baignons dedans en permanence, avec un effet cumulatif au fil des années. C’est ainsi que la dose totale accumulée pendant une vie durant 80 ans est de l’ordre de 200 mSv en France et peut atteindre 10 fois plus dans quelques régions du monde
Depuis Tchernobyl, on sait que les retombées radioactives ne se répandent pas de façon concentriques, mais en taches, et qu’il est donc arbitraire de fixer des zones d’exclusion du type 30 ou 50 km à partir de l’usine. Une zone loin de l’usine peut être plus contaminée qu’une zone proche, parce que les vents ont été défavorables au moment des émissions.
L’essentiel des retombées de Fukushima s’est concentré dans un parallélépipède d’environ 400 km2 où l’irradiation annuelle dépasserait 18 mSv. Une activité comparable avait été observée sur une surface de l’ordre de 10000 km2 autour de Tchernobyl. Dans la zone interdite de Tchernobyl, la dose d’irradiation se situait entre 50 et 100 mSv/an.
Contrôler de près la décontamination
Voici pour la comparaison des niveaux. On objectera qu’il s’agit de doses annuelles et que le danger viendra de l’accumulation au fil des années. Mais cela ne sera pas le cas si les zones sont décontaminées de façon énergique. Il y a, pour ce faire, des techniques efficaces. La mise en place d’une zone d’exclusion totale pour des années est une incitation à ne rien faire, sans compter qu’elle contribue à agiter les peurs les plus irrationnelles sur le danger nucléaire.
Une fois réinstallés (s’ils le souhaitent), les habitants devront pouvoir s’assurer que les travaux de réhabilitation des lieux sont effectivement réalisés. Après une formation, ils pourraient être dotés de compteurs pour qu’ils signalent les niveaux de radiation anormaux et l’évolution des taux moyens.
A tout moment, ils devraient pouvoir revenir sur leur décision et demander aux autorités de trouver une solution pour leur relogement. Les frais engagés par les autorités devraient être intégralement remboursés par le propriétaire de l’installation initiatrice de l’accident.
Les effets sur l’espérance de vie
Ces habitants ne seraient pas des kamikazes ! Ils ne seraient pas « envoyés à une mort certaine » ! Car, au risque de choquer, il faut, là aussi, être précis.
D’une façon générale, un moyen standard pour évaluer la dangerosité d’une exposition, d’une pratique ou de l’ingestion d’un toxique est l’évaluation de l’influence sur « l’espérance de vie ». Ainsi la pollution atmosphérique urbaine conduirait à une réduction de 4 à 9 mois1 de l’espérance de vie d’un adulte de 30 ans. Le même type de calcul existe pour le tabac, par exemple.
Le calcul de l’espérance de vie n’est qu’exceptionnellement utilisé quand il s’agit du risque lié à l’irradiation. On préfère parler de dépassement de doses autorisées sans préciser à quoi correspondent ces doses.
La perte d’espérance de vie liée à un risque se calcule à partir de formules faisant intervenir la probabilité de l’événement mortifère et le raccourcissement de la durée de vie si l’événement se produit. Ce calcul est effectué selon une méthode classique exposée sur ce lien. (http://www.sauvonsleclimat.org/etudeshtml/effets-de-lirradiation/35-fparticles/801-effets-de-lirradiation.html) Sans entrer dans le détail, dans le cas d’une irradiation, on dégage deux chiffres, un niveau bas et un niveau haut.2
Voici quelques exemples de pertes d’espérance de vie dues à une irradiation limitée dans le temps. On a supposé une espérance de vie de 80 ans.
On peut aussi faire le calcul de la perte d’espérance de vie entraînée par une irradiation de 250 mSv correspondant à la norme de catastrophe autorisée pour les intervenants sur le site de Fukushima. Pour un homme de 40 ans, la perte d’espérance de vie serait comprise entre 1,8 et 3,6 mois. En réalité il semble que seulement quelques uns d’entre eux aient atteint une dose de 170 mSv.
Soulignons que cela ne signifie absolument pas que tous les membres d’une population irradiée verront leur espérance de vie diminuer, mais plutôt que certains des membres ayant contracté un cancer auront une durée de vie fortement diminuée alors que la plupart des autres resteront indemnes. On voit clairement sur le tableau que la perte d’espérance de vie est beaucoup plus importante pour un bébé que pour un retraité.
Sur le tableau, il s’agit d’irradiation limitée dans le temps. En ce qui concerne l’exposition à la radioactivité naturelle, qui est permanente, on calcule qu’avec une irradiation de 3 mSv/an, la perte d’espérance de vie est comprise, en moyenne, entre 0 et 1,8 mois.
Les normes qui ont été fixées pour le public ont pour objectif de limiter l’augmentation de l’irradiation due aux activités humaines au tiers de la radioactivité naturelle moyenne mondiale. Elles font l’hypothèse que l’irradiation est continue pendant la vie entière. Appliquer de telles normes aux irradiations liées à Fukushima ou Tchernobyl, qui ont vocation à être diminuées par des actions locales de décontamination, n’a donc pas de sens.La même remarque tient lorsque l'on proclame à son de trompe que tel rejet d'iode est 2000 fois supérieur à la norme. Ces normes sont calculées dans l'hypothèse d'un rejet constant dans le temps.
1 Publication Afsset, juin 2006, rédacteur : Mounia El Yamani,
Dans le cadre du projet Aphekom une estimation plus favorable située entre 4 et 6 mois de réduction de l’espérance de vie due aux particules fines a été publiée en 2010. La différence entre les deux estimations pourrait être due à une diminution des émissions des véhicules
2 Le niveau bas correspond à l’existence d’un seuil en deçà duquel l’irradiation n’a pas de conséquence, le niveau haut correspond à une relation linéaire entre le niveau d’irradiation et la probabilité de développer un cancer mortel (hors traitement).
.
D'accord avec vous : après FUKUSHIMA il faut revoir les modalités d’évacuation et de rejet : ainsi éventer à l'extérieur le circuit primaire lorsque le coeur n'a pas été dénoyé procure certes un certain rejet radio actif mais sans commune mesure avec les rejets - coeur endommagé -.
Sauf qu'après FUKUSHIMA il faut tout revoir ; j'espère qu'on aura l'occasion d'échanger dans le cadre SLC
Rédigé par : Jacques- | 14 mai 2011 à 12h30
Bonjour Jacques,
Certes il y aura beaucoup d'enseignements à tirer de Fukushima. Toutefois, dans cette contribution je voulais avant tout proposer qu'on cesse de considérer les victimes comme un troupeau de moutons. Pour démythifier le nucléaire il faut amener le plus grand nombre possible de citoyens à participer aux décisions qui les intéressent directement. Qu'il pèsent eux mêmes les avantages et les inconvénients des mesures qui ont pour objectif louable de les protéger, mais dont le modalités les infantilisent.
Rédigé par : Nifenecker | 14 mai 2011 à 13h21