« Silon, Yaqua et Pitucé... » [1]
Germain Giovannetti
En allant sur le site du Réseau de Transport d’Electricité, « www.rte-France.com » et en cliquant sur « Rapport d’activité 2010 » on trouve, page 36, la production en 2010 d’électricité en France : le nucléaire a produit 407,9 TWh et l’éolien 9,6 TWh. Page 44 on trouve la puissance installée : en nucléaire 63,1 GW, l’éolien 5,6 GW.
Si le nucléaire tournait toujours à pleine puissance, il produirait 63,1 GW x 8760 heures = 552,7 TWh. Il n’en produit que 407,9 soit un rendement de 74 %. Il y a des arrêts pour rechargement de combustible, entretien ou pannes.
Pour l’éolien, si le vent soufflait toujours à l’optimum, ce serait : 5,6 GW x 8760 heures = 49,1 TWh. Il n’en produit que 9,6 soit un rendement de 20 %. C’est normal.
Pour produire en éolien l’équivalent de la production nucléaire, il faudrait que la puissance installée en éolien soit de 5,6 divisé par 9,6 multiplié par 407,9 = 238 GW soit 3,7 fois la puissance installé en nucléaire. Eh oui ! Pour réaliser la production annuelle d’une centrale nucléaire de 1 GW, il faut installer 3,7 GW d’éoliennes.
Toujours sur le site du RTE en allant sur « éco2mix Consommation, production, et émission de CO2 », on trouve un graphique qui donne, pour la journée, la prévision de consommation et la consommation effective d’électricité, puis un second graphique qui détaille de 15 en 15 minutes, la répartition de la puissance instantanée entre les différents moyens de production : nucléaire, charbon, gaz, éolien, hydraulique…
J’ai relevé pour tous les jours ouvrables du mois de juin 2011 la puissance consommée (en MW) à l’heure de pointe, qui se situe tous les jours à 12 h 45, et la puissance produite (en MW toujours) par l’éolien au même moment.
Si on excepte le vendredi 3 (des usines ont fait le pont de l’Ascension), la pointe de consommation varie entre un maximum de 59923 MW le 28 juin et un minimum de 55855 MW le 6 juin, soit une différence de 7 %
La production par éolienne varie d’un maximum de 1942 MW le 16 juin à un minimum de 328 MW le 14 juin, soit une différence de 1 à 6 !
Si on examine la production éolienne pour les deux journées les plus fortes, on trouve, le 16 juin, un maximum de 2625 MW à 16 h 30, le 3 juin on monte à 2324 à 1 h 15.
Si on examine la même production pour les journées les plus faibles, on trouve, le 14 juin, un minimum de 290 MW à 11 h 00 ; le 7 juin, on descend à 267 MW à 10 h 00.
EDF est obligée d’absorber prioritairement la totalité de l’électricité produite par l’ensemble des éoliennes de France. Cette quantité varie de 1 à 10 !
Si le vent soufflait suffisamment sur toutes les éoliennes de France, la production serait la production des 5600 MW installés à rapprocher du maximum du 16 juin 2625 MW. Le vent n’a soufflé au mieux qu’à 46 % de l’optimum.
Jusque là, nous sommes dans la constatation de faits. Maintenant raisonnons :
Puisqu’il faut réduire la consommation de combustibles fossiles, il est logique de penser qu’un certain report de cette consommation se fera sur l’électricité. Parallèlement il est nécessaire d’avoir une certaine sobriété énergétique. J’admets (c’est discutable) que la réduction de consommation d’électricité sera compensée par le report du fossile, et donc que la consommation d’électricité restera inchangée. J’ai dit « c’est discutable », on peut changer le raisonnement, on ne chan-gera pas fondamentalement la conclusion.
Puisque l’on veut « sortir du nucléaire », fut-ce en 20 ans, il faut bien mesurer qu’en dehors de l’éolien, du photovoltaïque et de l’hydraulique, il n’y a guère de ressources.
Supposons donc que l’on veuille assurer en éolien l’équivalent de la production actuelle du nucléaire. Il faudrait multiplier les puissances éoliennes par 407,9 TWh (production annuelle en nucléaire) divisé par 9,6 TWh (production annuelle en éolien) soit 42.
Je vais donc, sur le tableau ci-dessus, multiplier par 42 les puissances éoliennes pour voir ce que cela donne :
On constate d’énormes différences en plus ou en moins, entre ce que produirait l’éolien et ce que consommerait le pays. En jouant sur les autres moyens, hydraulique, biomasse, photovoltaïque, on pourrait compenser. Il n’y aurait pas de diffi-cultés le 8 juin, le 17, le 21, le 23, le 24, le 29 juin. Les autres jours, on aurait ou trop d’électricité éolienne ou pas assez. Trop, on pourrait stocker l’électricité, quitte à la récupérer quand on n’en aurait pas assez. On stocke comment ? Je ne connais, à cette échelle, que l’hydraulique avec des stations de pompage-turbinage.
On aurait en trop, plus de 20000 MW, le 3 et le 16 juin. Pour stocker 20000 MW d’électricité, il faudrait ces jours là pomper sur 1000 mètres de dénivelé, 2000 m3/s (le débit moyen du Rhône) ; les autres jours, ce serait moins.
On serait en insuffisance de plus de 30000 MW le 7 juin, le 9, le 10, le 14, le 27, le 28 juin. Il faudrait turbiner sur 1000 mètres de dénivelé, 3 000 m3/s ! Et cette eau, au niveau de la plaine ou de la mer, il faudrait la stocker pour pouvoir la remonter, vent et soleil revenus. On peut s’étonner que l’on soit plus souvent en manque qu’en excès. C’est que la comparaison est faite avec la période de pointe alors que l’homothétie est exercée en référence au ratio (42) des productions annuelles. Aux heures creuses, on serait, à l’inverse, plus souvent en excès qu’en manque. De toutes façons, il faudrait des instal-lations énormes, tant pour stocker l’eau que pour la pomper ou la turbiner.
Ou bien tout simplement compenser les absences d’Eole ou/et Hélios par du combustible fossile, par des turbines à gaz, alimentées en gaz de Sibérie ou de … schiste. Vous voyez bien que nos gouvernants, sensibles à la volonté de « sortir du nucléaire » et soucieux d’indépendance énergétique sont parfaitement compétents et logiques. Tant pis pour l’effet de serre ! Il faut choisir.
Comment répondent les partisans de « sortir du nucléaire » à cette constatation ?
J’attends une réponse. Il n’y a pas de réponse claire. Plus ou moins, on entend des « idées » :
- La fonte des glaciers va dégager dans la montagne des lacs glaciaires où on pourra installer des stations de pompage turbinage (sauf qu’au débit du Rhône lesdits lacs seront remplis ou vidés en quelques minutes). Et les incessants marnages ne seront pas sans risque (à preuve les soucis causés par le lac d’Arsine).
- On interconnectera toute l’Europe. Il y aura toujours quelque part du vent en quantité suffisante (curieusement on nous explique parfois le contraire, qu’il faut favoriser la production et la consommation localement …). Certes, l’interconnexion permet de mieux compenser les différences, mais un anticyclone sur l’Europe, c’est-à-dire une période de temps calme, concerne parfois de grandes surfaces, et par manque d’électricité global, chacun gardera son courant pour soi
- On propose aussi d’installer du photovoltaïque au Sahara où il y a toujours du soleil (sauf la nuit …), et de transporter ce courant. Sauf qu’on ne sait pas transporter sur de si grandes distances du courant alternatif à 50 périodes. On suggère de transporter du courant continu (ce qui coûtera encore plus cher). - On dit aussi qu’on peut laisser toute l’eau aller dans la mer et ne stocker qu’en montagne. Seront ainsi salés les lacs de Serre-Ponçon, du Bourget, d’Annecy, de Genève, le Rhône, la Loire …
- On peut aussi, comme à Dakar, mécontent des coupures de courant, aller brûler les sièges des Compagnies d’électrici-té. Mais ça ne donnera pas plus de courant.
J’exagère ? Soit ! Alors que les tenants de « sortir du nucléaire » donnent leurs solutions.
________________________________________________________________
[1] nom d'une bande dessinée de Guy Béart et Konk en 1975.
Très intéressant
Dommage (sauf erreur) que RTE ne donne ces renseignements que sur les 30 derniers jours.
Car c'est à partir des chiffres bruts que tout un chacun doit pouvoir se faire sa philosophie.
Je pense par contre , afin d'être extrêmement bienveillant pour l'éolien , qu'on puisse prendre la moyenne journalière comme référence et ce pour deux raisons:
- même si les moyens de stockage alternatifs sont ridicules en valeur absolue leur progression extraordinaire ces dernières années peut amener à être optimiste sur le stockage 24 h
- EDF ne faisant aucun effort pour inciter le particulier à écrèter les pointes (on est carrément en régression d'ailleurs) je ne vois pas comment M.TOUT LE MONDE pourrait être sensible à ce problème!
.
Rédigé par : c10a | 14 juillet 2011 à 15h02
L'intermittence d'un éolien largement déployé en terrestre + marin ne peut pas être déduit du petit parc éolien actuel sur 30 jours.
Néanmoins, il est clair que le lissage de l'intermittence des renouvelables (éolien et solaire) en quantité significative exige des centrales combinées au gaz en sus de celles existant déjà, du fait de l'inflexibilité de la conduite des centrales nucléaires.
Si en plus on veut sortir du nucléaire, il faut plus de CCGT. Tous les scénarios sérieux de "sortie du nucléaire" le mentionnent.
Mais ça ne crée pas des scénarios impossibles à réaliser, ça ajoute des couts, simplement. La preuve la plus simple est de regarder les scénarios énergétiques de l'Allemagne sur les 30 ans à venir.
Jacques Talbot
Rédigé par : Jacques Talbot | 28 juillet 2011 à 16h43
Bonjour,
L'inflexibilité du nucléaire, soit une incapacité à moduler la charge du réseau n'est pas exacte. En effet les centrales françaises sont pour partie équipées d'un mode de pilotage particulier, le mode gris, qui permet de grandes fluctuations de la production nucléaire. Pour preuve les courbes de RTE de juin ( en pièce jointe) qui montrent à l'évidence que lorsque qu'une production éolienne très importante est intervenue le week-end du 18/19 juin le nucléaire s'est effacé pour lui laisser la place et adapter la production au besoins réduits de la fin de semaine. C'est ainsi que la production nucléaire a été réduite de 15 GW sur 45 avec une évolution qui a atteint environ 3,5 GW par heure, soit l'équivalent de la puissance éolienne max au même instant.
On voit bien par ailleurs le problème que posera un éolien 5 fois plus fort dans des conditions de vent identiques.
En ce qui concerne le scénario allemand à 80/85% de renouvelable il faut l'examiner attentivement. Que dit-il:
Réduction de 33% de la consommation d'électricité (de 600 à 400 TWh)Importation du quart du besoin d'électricité soit 100 TWh sur 400, sans dire d'ou ils importent (alors que Allemagne était encore exportatrice en 2010 d'environ 20 TWh)
Recours massif à la biomasse pour les autres usages et la voiture en particulier, avec une fois de plus un appel massif aux importations (30% environ):
Si tous les pays européens se mettent sur le même schéma, que se passe t-il?
La vertu est elle d'externaliser sa production de CO2 pour faire "écologiste".
L'ambition exprimée par les allemands est elle un simple exercice de communication et de promotion de leur usines de fabrication d'éoliennes?
Jean-Pierre Pervès
Rédigé par : Sauvons le Climat | 28 juillet 2011 à 18h29
Une petite nuance sur le projet Desertec au Sahara, les câbles haute puissance en courant continu représentent certes un investissement conséquent, mais ils se rentabilisent quand même pas mal. Disons que c'est pas pire que d'investir dans une centrale nucléaire.
Le problème est plutôt dans l'idée d'aller "squatter" une part significative du territoire des pays concernés pour notre intérêt, il semble peu probable que cela fonctionne à long terme.
Merci en tout cas pour les info sur la variabilité de la production du parc nucléaire français, j'étais convaincu jusqu'à présent qu'elle était bien plus faible. Il y a très peu d'info sur ces techniques, on parle plutôt en général que l'empoisonnement au Xénon empêche tout régime variable.
Rédigé par : jmdesp | 29 août 2011 à 21h09