Hervé Nifenecker
Le 11 septembre 2011
Après que, à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima, l’Allemagne ait décidé d’arrêter immédiatement ses 8 réacteurs les plus anciens (en fait 7, et 1 déjà arrêté provisoirement) et se soit fixé la date limite de 2022 pour sa sortie du nucléaire, j’avais suggéré que les partis politiques français devraient attendre les résultats de l’expérience allemande avant de définir leur ligne concernant le bouquet électrique français. Comme les partis politiques ne nous ont guère donné l’impression qu’ils accordaient beaucoup d’importance à une approche expérimentale et pragmatique je n’ai pas été surpris de constater que ma suggestion ait fait un « flop » : les Verts restent fidèles à leur génome et, malgré des protestations pour amuser la galerie, préfèrent prendre le risque d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre plutôt que d’assumer le risque politique d’un changement de pied sur la question du nucléaire, changement de pied rendu, il faut bien en convenir, bien difficile après Fukushima. Le PS, lui, et tout particulièrement sa première secrétaire, préfèrent flatter l’électorat vert à toute autre priorité, fut-ce une approche réaliste de la question énergétique.
Et pourtant, dès maintenant, ce qui se passe en Allemagne, est riche d’enseignements et préfigure ce qui se passera d’ici 2022. La puissance des 8 réacteurs allemands mis à l’arrêt est de 8,5 GW pour une production annuelle de 61 TWh[1]. Au fur et à mesure de l’arrêt de ses réacteurs l’Allemagne augmenta ses importations. C’est ainsi qu’alors que, le 11 mars 2011 l’Allemagne exportait 32 GWh en France, 15 jours après c’était la France qui exportait 92 GWh vers l’Allemagne[2]. La différence de production correspondait à une puissance moyenne de 3,8 GW. L’Allemagne fit aussi appel à des importations en provenance de Tchéquie, de Pologne et de Suisse. Globalement, alors que l’Allemagne exportait de 100 à 180 GWh avant le 11 mars, elle devenait importatrice de 70 GWh chaque jour après le 20 mars. La différence entre les deux positions correspond à une puissance moyenne de 8 GW, soit la presque totalité de la puissance des réacteurs arrêtés. Il n’y a donc pas eu de diminution de la consommation d’électricité. La production des 8 réacteurs représente près du tiers de la production nucléaire totale. La totalité de la production éolienne des 27 GW installés ne dépasse pas 35 à 40 TWh, soit seulement les deux tiers de la production des réacteurs arrêtés. Ce ne sont donc pas les énergies renouvelables qui pourront se substituer, sinon marginalement, à la production nucléaire manquante. Il est piquant de constater que l’électricité importée par l’Allemagne provient essentiellement de centrales nucléaires.
L’Allemagne doit donc envisager la construction de nouvelles centrales à charbon et lignite. En attendant on mobilise les plus anciennes centrales, celles qui émettent le plus de gaz carbonique. On retarde les opérations de maintenance, y compris celles sur les centrales nucléaires encore en fonctionnement. Cette mobilisation est nécessaire si on veut éviter une panne générale sur le réseau allemand, et, plus généralement, sur le réseau européen pendant les heures de forte demande d’hiver, au moment où la demande excèdera la capacité de production des centrales européennes.
Sur le plan économique, la situation confortable du commerce extérieur allemand permet d’envisager un fort recours à l’importation de courant. C’est ainsi que, avant même la catastrophe de Fukushima le concept énergétique[3] du gouvernement fédéral prévoyait, pour certains scénarios, l’importation de plus de 100 TWh par an en 2050[4], près du quart de la production électrique prévue à cette époque. Aux tarifs actuels ceci représenterait environ 7 milliards d’Euros annuels, soit environ 20% du déficit commercial français mais moins de 4% de l’excédent commercial allemand. Ce qui serait acceptable pour l’Allemagne, ne le serait pas pour la France. Il faut aussi remarquer que la décision allemande a été prise sans concertation avec ses partenaires qui devront lui fournir le courant manquant. Certains des scénarios pour 2050 poussent encore plus loin cette désinvolture : En effet, le scénario qui prévoit une importation de 102 TWh, envisage que la production locale de 327 TWh serait fournie pour 154 TWh par l’éolien et pour 39 TWh par le photovoltaïque, autrement dit par des énergies intermittentes et non contrôlables (non dispatchables). Par exemple, la puissance éolienne instantanée délivrée pourrait varier entre 5 et 70 GW. A son maximum cette puissance serait bien trop importante pour être utilisée sur le réseau allemand (70 GW, alors que la demande moyenne est de l’ordre de 50 GW). Inversement, en cas d’absence de vent, il faudra que les importations fournissent à tout moment la puissance manquante de 30 GW (la moitié de la puissance du parc nucléaire français). Et cette puissance ne pourra être fournie que par des équipements contrôlables comme des barrages hydroélectriques, des centrales brûlant des combustibles fossiles ou des centrales nucléaires. La vertu verte allemande ne semble guère s’encombrer de celle de ses partenaires…
Pour faire face à ses besoins à plus long terme, l’Allemagne a signé des accords de fourniture de gaz par la Russie[5]. Dans l’état actuel l’Allemagne a donc choisi de donner la préférence à la sortie du nucléaire plutôt qu’à la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Au début de juillet 2011 au parlement européen, l'Allemagne a d’ailleurs refusé de s'engager à une réduction supplémentaire des émissions de CO2, passant de 20% à 30%.
Si le programme de sortie du nucléaire allemand se poursuit comme prévu et si la moitié de l’électricité manquante était fournie par du nucléaire, l’autre moitié par des centrales à charbon ou à gaz, des experts allemands[6] ont estimé que 62 millions de tonnes de CO2 seraient émis par le secteur de l’énergie allemand (et deux fois plus s’il n’y a pas appel au nucléaire).
Il faut aussi citer les conséquences économiques de la décision allemande : les grandes compagnies allemandes de production d’électricité dont EOn et RWE, qui étaient florissantes se retrouvent dans le grosses difficultés. Par exemple, EOn prévoit un déficit d’un milliard cinq cents millions d’Euros pour le seul deuxième trimestre 2011, et de neuf à onze mille suppressions de postes. Ajoutons que, même en période de relativement faible consommation, l’arrêt des 8 réacteurs nucléaires s’est traduite par une augmentation du prix spot de l’électricité de 10 €/MWh, soit une augmentation de plus de 15% du prix de l’électricité à la source.
Enfin on ne saurait sous-estimer les risques accrus pour la sécurité des réacteurs de la démobilisation des salariés et de la recherche d’économies sur la sûreté par des opérateurs en difficulté financière.
Qui veut prendre exemple sur la politique énergétique allemande ?
[1] Soit une moyenne de 200 GWh/jour pour un facteur de charge de 85%
[2] Il faut remarquer que le solde positif total des exportations de la France était compris entre 150 et 200 GWh journaliers
[3] Energieszenarien für ein Energiekonzept der Bundesregierung, (Prognos / EWI / GWS 2100 ; Projekt Nr 12/10, des Bundesministeriums für Wirtshaft und Technologie. Berlin)
[4] voir, par exemple l’étude de C.Acket et P.Bacher sur le site de « Sauvons le Climat » : http://ex.sauvonsleclimat.org/new/spip/IMG/pdf/Approche_allemande_du_facteur_4.pdf
[5] Le gaz dit naturel, n’est ni plus ni moins « naturel » que le pétrole ou le charbon, ni, d’ailleurs que l’uranium. S’il est vrai que les centrales à gaz émettent environ deux fois moins de CO2 que les centrales à charbon, la production et le transport de gaz sont accompagnés de fuites de méthane, un gaz à effet de serre ayant un pouvoir de réchauffement entre 60 fois (dans les 25 ans suivant son émission) et 20 fois (dans les 100 ans suivant son émission) plus grand que celui du CO2.
[6] www.bdi.eu/pressemitteilungen_energiekostenstudie_24_04_2011.htm
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