H. Flocard et J.P. Le Gorgeu (SLC)
Du 29 Janvier 2012 au 17 Février 2012, l’Europe et donc la France ont subi une vague de froid exceptionnellement longue et intense. Les températures sont descendues sous les -10 °C en de nombreux endroits du territoire, et, parfois, sont restées négatives plusieurs jours sans interruption. Ce phénomène météorologique, qui contrastait avec des mois de Novembre, Décembre et Janvier remarquablement doux, est illustré par la Figure 1. On y a dessiné la température moyenne journalière[1] relevée à la station de Toussus le Noble, commune du Bassin Parisien choisie parce que loin de toute agglomération majeure.
Figure.1 Période du 23/01 au 19/02 2012. La courbe rouge (échelle de droite, °C) donne l’évolution de la température moyenne observée à Toussus le Noble (site Météociel). Il s’agit de températures sous abri. La courbe bleue (échelle de gauche, MW) donne la consommation électrique française (site eCO2mix/RTE)
Sur la Figure 1, on a aussi porté la consommation électrique (données du site eCO2mix/RTE) qui, les 7,8 et 9 février, a dépassé tous les précédents records de consommation, s’approchant des 105 GW à son maximum. Sur cette période, l’ensemble des moyens de production dispatchables disponibles[2] était mis au service de la production électrique nationale. Par ailleurs, du 1er au 17 février, la France, qui n’a plus construit de centrale électrique pilotable depuis le début du siècle, a dû importer du courant sans discontinuer. Celui-ci a été pour l’essentiel fourni par des centrales à combustible fossile (gaz, charbon, lignite) allemandes. Les pics d’importation ont été observés entre le 7 et 9 février et ont atteint brièvement 9 GW. On notera cependant que, sur la période considérée en Fig.1 (23 Jan -19 Fév), la France a été globalement exportatrice de courant électrique pour une puissance moyenne de 682 MW.
Sur la figure 2 on a dessiné ce qu’ont produit respectivement 1GW nucléaire et 1 GW éolien français d’une part et 1GW solaire photovoltaïque (PV) allemand d’autre part[3]. La puissance nucléaire installée en France s’élève à 63 GW. En fait, seulement 95 % de cette puissance était opérationnel. En effet, trois réacteurs subissaient la longue visite qui, tous les dix ans, s’effectue sous le contrôle de l’Autorité de Sûreté Nucléaire. Début février, la puissance éolienne installée en France continentale s’élevait à 6,5 GW. La puissance solaire PV française est de 2,4 GW. En dépit de cette valeur importante (de deux à trois réacteurs nucléaires), ni RTE, ni ERDF ne semblent encore disposer de données suffisamment fiables pour publier la production du PV français[4]. Pour cette raison nous sommes allés chercher des données concernant Allemagne+Autriche sur le site www.transparency.eex.com. Au premier janvier 2012, la puissance solaire PV allemande était de 24,7 GW (dont plus de 7 GW installée en 2011, suite à l’emballement d’une « bulle » que le gouvernement fédéral essaye maintenant de dégonfler à moindre mal pour son industrie).
Figure.2 Période du 23/01 au 19/02 2012. Toutes les courbes indiquent, pour un moyen de production donné, la puissance qu’il a livrée au réseau (en MW) par GW de puissance installée (1GW=1000MW) en France ou en Allemagne. La courbe bleue correspond au Nucléaire France, la courbe verte à l’éolien France et la courbe rouge au solaire PV Allemagne. Données françaises : eCO2mix/RTE. Données allemandes : transparency.eex.
On constate (courbe bleue) que, durant toute cette période difficile, le parc nucléaire français opérationnel a fourni du courant à 100 % des capacités en ordre de marche (95 % de la puissance installée). Sa production ne commence à baisser qu’au moment où la vague de froid se terminant, la consommation baisse (Fig. 1) et les exportations de courant françaises reprennent.
L’anticyclone qui a engendré la vague de froid 2012 avait pour la France une caractéristique intéressante : celle d’être placé à ses frontières. Il s’est par moment accompagné de vents violents qui ont encore augmenté l’impression de froid. Ce sont les fameuses « températures ressenties » qui ont fait le miel des journalistes (et donc pas les températures dessinées en Fig. 1 qui, elles, sont mesurées sous abri). Ceci est vraisemblablement la cause du niveau particulièrement élevé de la consommation électrique (et de ce que les magasins qui vendaient des appareils de chauffage électrique d’appoint[5] ont été dévalisés). Ces quelques épisodes venteux ont engendré les pics de production visibles sur la courbe verte donnant la production éolienne française. Ainsi, pendant quelques heures, l’éolien français a atteint une efficacité de 60 % donnant lieu, comme à l’accoutumée pour chacun de ces épisodes ponctuels, à un communiqué triomphal du Syndicat des Energies Renouvelables (SER)[6]. Ce communiqué a été publié le 3 février. Le SER n’a pas jugé utile d’en faire un le 4 ou même le 6 février (voir Figure 2). Quoiqu’il en soit, sur l’ensemble de la période considérée, l’efficacité moyenne de l’éolien français n’a pas dépassé 25 %[71].
Le parc solaire allemand nous donne une indication de la production que l’on pourrait espérer d’un parc solaire important en France[8]. La modulation temporelle de sa production reflète d’une part la brièveté des jours et d’autre part la variation de la nébulosité d’un jour à l’autre. L’efficacité moyenne du parc solaire allemand sur la période a été de 4 %. Compte tenu de la position plus méridionale de la France, chez nous elle a sans doute pu atteindre 5 %.
On peut résumer ce que nous disent ces courbes, en recourant à l’image de la servante nucléaire qui, pour un petit salaire, dans l’ombre, à l’occasion sous le mépris, voire même l’insulte, produit un travail continu, régulier et ajusté aux besoins de la maisonnée. Pendant ce temps, dans le salon brillamment éclairé, les deux danseuses éolienne et solaire, importées à grand frais de l’étranger[9], viennent, de temps en temps, à leur convenance, exécuter quelques entrechats grassement payés, suscitant les applaudissements frénétiques de leurs sponsors, de leurs groupies politiques et des médias, lorsque, par extraordinaire, un de leurs bonds s’élève un peu plus haut que l’ordinaire.
[1] La température moyenne journalière est définie comme la demi somme des températures maximale et minimale un jour donné. Site www.meteociel.fr
[2] Malheureusement, un certain nombre d’unités à combustible charbon dont on peut estimer la puissance cumulée de l’ordre de 2 GW ont, pour des raisons diverses, été indisponibles précisément au début de cette période. « Dispatchable » : ce terme du jargon de RTE caractérise les moyens de production dont on peut disposer à volonté, par opposition aux moyens dits « fatals » que sont les éoliennes ou les panneaux solaires.
[3] Le site transparency.eex fournit les données éoliennes et solaires de l’Allemagne plus celles de l’Autriche. Comme la production allemande dans ces deux modes excède d’au moins un ordre de grandeur la production autrichienne, nous écrirons parfois « Allemagne » pour raccourcir.
[4] Ce manque de transparence vis-à-vis d’une énergie qui pourtant bénéficie d’un important soutien financier public, via la taxe CSPE sur nos factures électriques, contraste avec la situation faite aux moyens de production dispatchables (combustibles fossiles, hydraulique, nucléaire) qui peuvent être suivis heure par heure, site par site, sur le site web de RTE. Cette apparente incapacité à suivre en continu la production de plusieurs centaines de milliers de producteurs (en Allemagne plus d’un million) augure mal de l’installation prochaine d’un « smartgrid » performant.
[5] Selon Jean Bergougnoux, ancien directeur d'EDF, la moitié des 2 GW/°C est due à ces chauffages d'appoint dans les logements chauffés en général au gaz et au fioul et mal isolés. http://lecercle.lesechos.fr/economie-societe/energies-environnement/energies-classiques/221143344/pointe-consommation-electrique
[6] Communiqué du SER (3/2/2012): « Vague de froid sur la France. Les éoliennes confirment leur utilité ». On notera que, les 5 et 6 février, le ministre de l’écologie allemande a aussi jugé bon d’informer la presse de la performance « remarquable » du solaire PV de son pays lorsque la production a atteint 40% de la puissance installée. Il n’a pas estimé utile de préciser que cela n’avait duré que quelques quarts d’heure.
[7] Il faut néanmoins reconnaitre que c’est beaucoup mieux que la performance de l’éolien allemand dont l’efficacité moyenne sur la même période n’a pas atteint 18% (données du site transparency.eex). Ceci est en partie dû à la situation géographique moins favorable de ce pays plus au centre de l’anticyclone, et donc en partie épargné par les vents froids. En particulier, la production éolienne allemande faible pendant la vague de froid reprend dès que celle-ci est terminée.
[8] Dans son « livre blanc » publié en janvier 2012, le SER a souhaité que l’objectif du Grenelle pour le solaire PV (5,4 GW), qui d’après la Commission de Régulation de l’Energie (CRE), va déjà couter 2,3milliards d’euros par an et pendant 20 ans, au consommateur français, soit porté à 20 GW
[9] Les 9 GW de puissance solaire et éolienne installée en France depuis dix ans, dont les matériels, presque tous importés, ont contribué au déficit de la balance commerciale du pays n’ont pas empêché qu’au plus fort de la vague de froid il ait fallu pendant quelques heures importer jusqu’à 9 GW de puissance électrique à un moment où la puissance nucléaire fonctionnait à 100% de sa capacité.
et oui les énergies intermittentes ne doivent pas se mesurer de la même façon que celles qui fonctionnent durablement...ça rappelle un peu ceux qui nous donnent du spectacle de façon durable par rapport aux "intermittents du spectacle" (que je respecte au demeurant)...il faut pour qu'ils existent leur donner des subventions ! mais la nation ne peut pas distribuer des subventions à tous les vents.
Donc le mix énergétique à de beaux jours devant nous, surtout pour lutter contre le CO2...merci le nucléaire.
Rédigé par : diani505 | 16 mars 2012 à 10h05
Pour que il y ait un débat sain et éclairé, on a besoin de l'énergie nucléaire et les énergies renouvelables car cela permet de regarder les bon points et les points moins bons pour chaqu'un d'eaux.
Rédigé par : M. Asghar | 16 mars 2012 à 12h26
Sur la Figure 1, on a aussi porté la consommation électrique (données du site eCO2mix/RTE) qui, les 7,8 et 9 février, a dépassé tous les précédents records de consommation, s’approchant des 105 GW à son maximum
On regarde votre figure --> on en est pas là !
On va sur RTE-FRANCE et ça se vérifie !
Mercredi 8 février 2012 19h01 101 700 MW
Mardi 7 février 2012 18h57 . . 100 500 MW
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Rédigé par : Jacques- | 17 mars 2012 à 10h57
Le site web mentionné
- EEX - Produktion DE
est effectivement particulièrement intéressant. Bizarre que l'on ne puisse obtenir la même chose en France.
Exemple pour ce dernier jour d'hiver en Allemagne
Rédigé par : c10a | 19 mars 2012 à 23h35