Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changer la théorie. (Einstein)
1. La Commission ne connaît que la concurrence, un peu comme ce héros de Mark Twain, un ouvrier qui, n’ayant comme instrument qu’un marteau, avait fini par croire que tous les problèmes étaient des clous. Ainsi, par delà les grandes stratégies dont la Commission nous abreuve, la politique de l’Energie de l’Union Européenne se fait à coup de dérogations données par la DG IV, notamment mais pas seulement pour les renouvelables.
2. A l’origine du processus, Mme Thatcher qui voulait faire de la libéralisation du marché de l’électricité « the mother of all liberalisations ». Par delà son aspect idéologique, cette politique visait à casser le syndicat des mineurs qui, fort de ses 200.000 membres et conduit par Arthur Scargill, s’opposait par la violence au passage du charbon au gaz dans l’industrie électrique (c’était le gas glut). Le CEGB britannique (équivalent d’EDF) employait, pour un périmètre voisin de celui de EDF, des effectifs d’environ le double ; là aussi, il fallait casser.
4. Tous se retrouvèrent finalement couchés sur le lit de Procuste : le norvégien (avec un parc qui est à 99% le fait de réservoirs largement amortis et totalement flexibles), le français (85% de sa production d’origine nucléaire avec une flexibilité limitée), l’allemand (avec son cartel impénétrable), plus tard la Pologne (avec son parc à 95% charbonnier) etc.
5. La France fit une résistance acharnée - on se souvient des fortes déclarations du ministre Pierret : « introduire la concurrence, c’est comme introduire le renard dans le poulailler ». La force de ce type d’argumentation fut, on s’en doute, nulle, surtout à Bruxelles et il s’ensuivit ce qui devait s’ensuivre : la reddition en rase campagne du couple Jospin/Chirac.
6. Rappelons l’argumentation des avocats de la libéralisation : la structure verticalement intégrée conduit :
- au surinvestissement, la faute étant imputée aux ingénieurs, sensés méconnaître les lois de l’économie.
- à un contrôle tatillon et inefficace de la part des pouvoirs publics.
- à l’ignorance des véritables besoins des usagers.
Quant à la libéralisation, elle devait conduire à :
- des marchés produisant les signaux nécessaires aux investisseurs, permettant d‘assurer la sécurité de l’offre de la manière la plus « efficiente » possible.
- des contractual innovations : L’usager devient un client. La fourniture d’électricité devient un service.
- une arm’s length régulation, fiable, légère, non discriminatoire, transparente etc.
En résumé : à une caricature du monopole verticalement intégré était opposée une idéalisation du modèle libéralisé. Pas vraiment le level playing field !
7. Que constate-t-on aujourd’hui (entre autres) :
- les consommateurs industriels sont unanimes à constater l’absence de contractual innovation. Bien au contraire, la liberté qu’ils croyaient avoir retrouver s’est vite transformée en de nouvelles contraintes : non aux contrats à long terme mais, à titre de dérogation, la possibilité de contracter jusqu’à trois ans … mais pas plus.
- s’agissant de l’arm’s length regulation, tout un chacun peut constater combien la réglementation devient complexe et intrusive.
- quant à la pertinence du marché pour assurer la sécurité des approvisionnements, la Commission reconnaît enfin qu’il y a un problème, surtout pour la pointe,
8. Autre constatation : le projet Linky (EDF-ERDF) dont l’objectif est de permettre une lecture précise des consommations électriques des particuliers que, gageons le, personne ne va lire et de rendre plus précis le balancing des fournisseurs. Cela pour un coût proche de celui d’un EPR. Voilà encore un coût à mettre au débit de la libéralisation. Mais qui s’en soucie ?
9 La loi NOME. Elle s’inscrit parfaitement dans le processus que nous venons de décrire.
Cette loi découle d’engagements d’ouverture du marché français de l’électricité pris par le premier ministre François Fillon face à la Commission Européenne le 15 décembre 2009. Ce n’est que la suite logique des directives de libéralisation : à défaut d’avoir pu obtenir le découpage de EDF, il s’agit pour la Commission de faire progressivement du nucléaire français une essential facility
Communistes et socialistes ont voté contre le projet. Le député socialiste Brottes préconise le recours à l’article 106. « Il faut neutraliser les effets néfastes de la concurrence ; quand on se bat, on peut changer la donne. Les marges de manœuvre existent. Le gouvernement peut agir s’il le veut. La jurisprudence existe!». Malheureusement, Mr. Brottes n’a bien compris le rapport de force entre un Etat membre et la Commission instauré.
10. C’est que nous sommes dans un processus et il est exclu de revenir en arrière. Le pouvoir d’inertie des structures mises en place est considérable. De toutes façons, avec son monopole du pouvoir d’initiative, la Commission est, face à 27 pays, toute puissante.
Certes, comme on l’entend à Bruxelles, ce n’est pas la peine de ressasser le passé ; ce qui compte, c’est l’avenir. C’est la philosophie implicite de tous les strategic papers produits par une Commission qui ne regarde jamais en arrière et qui, de plus, s’évalue elle-même.
Pourtant, un gros effort d’analyse serait nécessaire. Ce n’est pas le rôle de la CRE dont ce n’est pas la mission. On voit mal qui pourrait prendre l’initiative d’ouvrir le dossier, ne serait-ce pour essayer de comprendre et, le cas échéant, corriger ce qui mériterait de l’être. La grande majorité des experts de la place sont liés à l’idéologie dominante, puisqu’elle est souvent une de leur principale raison d’être. Certes, dira-t-on, çà marche, mais à quel coût ?
En attendant il faut accumuler les grands et petits faits qui ne collent pas avec l’idéologie dominante et, surtout, les faire connaître.
Pierre AUDIGIER
PS : il va sans dire que, lorsque, dans cadre de la politique de voisinage, la Commission presse nos voisins d’adopter son modèle, les résultats se font attendre. Et c’est toujours la même réponse : vous avez raison mais Rome n’a pas été construite en un jour.
Mais c’est là un autre sujet.
pour compléter et poursuivre cette analyse je vous propose la lecture de l'article
"EDF contre les familles"
Par Christian Gaudray
paru le Mardi 9 novembre 2010
sur le site de l'UFAL
"Union des familles laïques"
.....
extrait :
.....
En juillet 2009, Pierre Gadonneix, alors patron d’EDF avait demandé à l’Etat une hausse des tarifs de l’électricité de 20% en trois ans. Il s’est fait virer. Aujourd’hui c’est Henri Proglio qui occupe ce poste et qui est en passe de réaliser la projection économique faite par EDF.
.....
Rédigé par : RV | 02 décembre 2010 à 08h40
Au moment des discussions de Lisbonne au cours desquelles Jacques Chirac et Lionel Jospin ont accepté la dérégulation de l'électricité et du gaz, il me semble qu'il avait été dit que la poursuite du monopole aurait été possible à condition qu'EDF ne se pose pas en concurrent dans les pays où l'électricité était dérégulée. Est-il impossible de renationaliser EDF en revendant ses filiales à l'étranger?
Rédigé par : hervé | 02 décembre 2010 à 16h11
Bonjour,
Juste une remarque en passant : la citation habituellement attribuée à Einstein dit au contraire : « Si les faits ne correspondent pas à la théorie, changez les faits. »
Amicalement,
Rédigé par : adrien | 11 janvier 2011 à 14h54