Résumé du document de Bernard Durand, accessible sur le site de Sauvons Le Climat
L’idée de stocker dans le sous-sol le gaz carbonique produit par les grosses installations industrielles (captage et stockage du CO2, CSC) remonte à 25 ans environ. Elle est née de la crainte d’une accumulation de CO2 dans l’atmosphère telle qu’elle puisse entraîner des dégâts climatiques et environnementaux considérables à l’échelle de la planète.
Les scénarios d’émissions et d’accumulation du gaz carbonique dans l’atmosphère envisagés au cours de ce siècle sont très variables en fonction des développements économiques anticipés. Le facteur majeur est l’importance qu’aura l’utilisation des combustibles fossiles, principaux responsables des émissions. Leur utilisation sera cependant tempérée par leurs possibilités réelles de production, qui sont mal connues et qui devraient être étudiées avec beaucoup d’attention.
Le CSC joue un rôle majeur parmi les projets de réduction de ces émissions puisque l’on envisage de pouvoir obtenir grâce à lui des réductions de 10 à 50 % environ, selon les scénarios d’émissions et d’accumulation, des émissions anthropiques totales de gaz carbonique.
Le captage de ce CO2 ne peut guère être envisagé que sur de gros émetteurs, émettant au moins 100 000 tonnes de CO2 par an. Ceci limitait pour 2007 à environ 16 Gt par an, soit 41% des émissions anthropiques totales, les quantités pouvant être captées. Les centrales électriques utilisant les combustibles fossiles représentaient environ 65 % de ces quantités, soit environ 10 Gt par an, l’essentiel venant des centrales à charbon.
Les technologies pour capter le CO2 sont disponibles depuis longtemps et ont été créées pour l’industrie pétrolière: Celle-ci, par nécessité, capte sur champ les gaz acides, CO2 et H2S, présents dans le gaz naturel, issus des gisements de gaz mais aussi de pétrole, pour les éliminer avant commercialisation. L’industrie pétrolière dispose également des technologies de transport et d’injection dans le sous-sol, car elle utilise parfois le gaz carbonique en récupération assistée du pétrole, en particulier aux Etats-Unis. Mais pour l’essentiel, elle a pour l’instant rejeté dans l’atmosphère le CO2 capté, et ne s’est pas préoccupé du devenir à long terme du CO2 injecté pour la récupération assistée.
La crainte d’une dégradation du climat a donné un incontestable élan à l’amélioration de ces méthodes et a entraîné une multiplication des projets de CSC dans les pays industrialisés, les plus nombreux étant le fait des industries non pétrolières : car celles-ci sont au total bien plus émettrices de CO2 que l’industrie pétrolière. L’adaptation des méthodes de l’industrie pétrolière à ces industries, qui produisent du CO2 par combustion des combustibles fossiles, est en cours. Les procédés de captage sont classés en captage en post- combustion, captage en oxy-combustion et captage en précombustion. Ils sont décrits ici.
Mais les réalisations n’ont lieu qu’à un rythme très lent. En quantités stockées, les projets actuels sont très loin d’être à la hauteur des enjeux: la réalisation de leur totalité ne permettrait de stocker que 2 à 3 % de la quantité de CO2 nécessaire pour atteindre par exemple l’objectif affiché des 10 Gt annuels de stockage à partir de 2050 du scénario Blue Map de l’Agence Internationale de l’énergie (AIE). Mais il s’agit essentiellement pour l’instant d’installations pilotes.
Il est pourtant douteux que l’on observe avant 10 à 20 ans une accélération significative de la réalisation de ces projets et du lancement de projets nouveaux, car ils rencontrent de nombreux obstacles: les principaux sont leur coût, les incertitudes quant à l’étanchéité sur le long terme des stockages souterrains, et l’acceptabilité sociale des gigantesques stockages qui seraient nécessaires. Le soutien politique a beaucoup diminué après la conférence peu encourageante de Copenhague sur le Climat de Décembre 2009. Et l’Europe tarde à honorer ses promesses d’engagements financiers.
Par tonne de CO2 évitée, le coût du CSC à l’horizon 2020 varie fortement selon l’industrie considérée, de 30 à 140 € environ. Toutefois, ces coûts, faute d’expérience industrielle, ne sont pas très bien cernés. Des améliorations des techniques de captage abaisseront sans doute le coût de celui-ci, mais il est douteux que le coût du CO2 sur les marchés de permis d’émissions dépasse avant longtemps suffisamment et durablement le coût du CSC pour que se multiplient les réalisations. En tous cas on n’en prend guère le chemin actuellement. On a vu par exemple quel a été en France le sort fait aux recommandations du rapport Rocard, et le recul politique qui a eu lieu ensuite dans ce domaine.
Pour les centrales électriques à combustibles fossiles, le coût serait à l’horizon 2020 d’environ 35 à 50 € par tonne de CO2 évité, dont 70 % pour le captage, 10 % pour le transport et 20 % pour le stockage. Mais le coût de l’électricité produite avec des combustibles fossiles augmenterait alors au moins du tiers, et, dans les grands pays industriels à économie de marché dont la production électrique repose pour beaucoup sur le charbon et le gaz cela entraînerait une forte perte de compétitivité de cette électricité avec l’électricité nucléaire et même avec l’électricité éolienne, et cela d’autant plus que les prix des combustibles fossiles seraient beaucoup plus élevés que maintenant. Il ne faut donc dans ces pays s’attendre à beaucoup d’enthousiasme autre que de façade, aussi bien des électriciens que des milieux politiques. C’est pourtant le secteur le plus émetteur, et donc celui où il faudrait faire le plus d’efforts.
Il faut également prendre en considération la consommation supplémentaire de combustibles fossiles, charbon et gaz entraînée par leCSC, environ 1/3 de la consommation en l’absence de CCS. Ce qui rend douteux un engagement fort de la Chine et de l’Inde, pays qui ont besoin d’énormément de charbon pour maintenir leur rythme de développement. C’est aussi une préoccupation forte à l’échelle mondiale, car ces combustibles fossiles sont en train de passer du statut de ressource que l’on peut gaspiller sans scrupules au statut de ressource rare, à consommer avec modération.
L’industrie d’extraction pétrolière et gazière reste pour l’instant la mieux placée pour développer le CSC : elle en a créé les technologies et a depuis longtemps intégré le captage du CO2 dans ses unités de traitement sur champ. Les surcoûts qu’il lui faudrait assumer sont donc ceux du transport et du stockage, lesquels ne constituent en principe que 30 % du total. C’est également elle qui est le mieux à même de cerner les possibilités de stockage, grâce à sa connaissance des bassins sédimentaires et aux moyens d’étude dont elle dispose. Elle peut également prolonger par ces stockages la durée de vie de gisements en déclin en utilisant le CO2 pour faire de la récupération assistée, et ainsi rentabiliser l’opération. Une valeur durablement supérieure à 30 € par tonne sur les marchés de permis d’émissions serait donc peut-être suffisante pour la déterminer à multiplier les stockages dans des gisements en fin de vie. Observons à ce propos que le stockage de Sleipner est né de la décision du gouvernement norvégien de taxer de l’équivalent de 35 € la tonne de CO2 émise par l’industrie pétrolière.
La nécessité de disposer de stockages souterrains d’une sûreté indiscutable et n’interférant pas avec d’autres activités est d’un point de vue physique le principal goulot d’étranglement. Si les volumes théoriquement disponibles sont probablement suffisants, il est loin d’être acquis que l’on pourra définir des volumes de stockages sûrs à un rythme suffisant. Ce qui veut dire également que le coût des stockages est probablement très sous-estimé. Leur acceptabilité sociale est également loin d’être acquise.
Toutes ces raisons semblent indiquer que les objectifs de CSC affichés par l’AIE ou le GIEC seront loin d’être atteints sans des engagements politiques très forts de la communauté internationale, se traduisant en particulier dans les pays à économie de marché par une valeur beaucoup plus élevée qu’actuellement du carbone sur les marchés de permis d’émissions, ou par la création d’une taxe carbone très substantielle.
En définitive, il est clair que le CSC ne peut résoudre à lui tout seul le problème des émissions de gaz à effet de serre. Il est tout aussi évident que son déploiement à une échelle suffisante pour que sa contribution à la solution de ce problème soit significative ne sera pas possible tant que les conclusions des études et des expérimentations en cours n’auront pas été tirées. La possibilité de réduire les émissions des centrales électriques à combustibles fossiles aurait le double avantage de réduire considérablement les émissions de CO2 de la production d’électricité, et, grâce aux voitures électriques et hybrides rechargeables, de réduire considérablement la consommation de pétrole et les émissions de CO2 des véhicules routiers. Le même objectif peut être atteint par le développement des centrales nucléaires et des énergies renouvelables, dont la compétitivité serait accrue par le renchérissement de la production d’électricité à partir des combustibles fossiles, dont l’emploi actuel généralisé interdit d’envisager l’élimination totale avant de nombreuses décennies. Cela permettrait de faire durer les combustibles fossiles et de les consacrer aux usages pour lesquels ils sont difficilement remplaçables.
Le CSC pourrait alors se concentrer sur la réduction des émissions des autres industries, industrie pétrolière, raffinage et pétrochimie incluses, sidérurgie, cimenteries et industries minérales. Notons cependant qu’en Europe, l’éventualité d’installation de CSC sur les raffineries est peu probable, le raffinage y étant en difficulté permanente.
Notons également, en ce qui concerne l’industrie pétrolière, qu’une grande partie de la production vient des champs situés dans les pays de l’OPEP, qui ne semblent pas très déterminés à faire beaucoup d’efforts de stockage du CO2 issus des traitements sur champs.
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