Hervé Nifenecker
Angela Merkel rentre dans le rang
L’Allemagne a donc décidé de sortir du nucléaire en 2022. Le chancelier Schröder avait déjà pris une décision analogue, le dernier réacteur (Neckar 2) devant s’arrêter, après 30 ans de fonctionnement, en 2019. La chancelière Angela Merkel, sous la pression de l’opinion publique allemande et des succès électoraux des Verts, a simplement repris le programme de son prédécesseur, en oubliant sa récente de prolonger la vie des réacteurs nucléaires allemands. Remarquons que ce changement de pied s’est fait sans débat ni justification.
Ce faisant, l’Allemagne a clairement donné la priorité à la sortie du nucléaire sur la réduction des émissions de gaz carbonique. C’est un signal d’autant plus regrettable pour la lutte contre le réchauffement climatique que l’Allemagne est le plus gros émetteur européen, même si on tient compte du fait que c’est aussi le pays le plus peuplé des 27.
Les Allemands sont de gros émetteurs de gaz carbonique
En moyenne, en 2008, chaque Allemand émettait 9,8 tonnes de CO2, chaque Français 5,74 (les statistiques 2008 sont les plus récentes publiquement accessibles), alors que les dépenses énergétiques étaient de 4,08 tep/tête[1] en Allemagne et de 4,16 tep/tête en France[2]. En Allemagne chaque tep utilisée conduit à une émission de 2,4 tonnes de CO2, en France à une émission de 1,4 tonne. La différence est due, pour l’essentiel, à l'importance de la contribution du nucléaire dans la production d'électricité.
L’arrêt des réacteurs se traduira par une importante perte économique.
Les 8 réacteurs allemands les plus anciens (âgés de plus de 30 ans) ont été mis à l’arrêt après la catastrophe de Fukushima. Il est peu probable qu’ils redémarrent. Ils offraient une puissance totale de 8,35 GW et produisaient un peu plus de 60 TWh par an[3] Si l’on admet que ces réacteurs auraient pu fonctionner encore 10 ans, le manque à gagner atteindra environ 30 milliards d’Euros. Compte tenu de la phobie du nucléaire fréquente dans la population allemande, il faudra, sans doute, procéder à un démantèlement plus rapide que prévu de ces installations, ce qui devrait ajouter 2 à 3 G€ à l’ardoise. Ce seront les consommateurs d’électricité allemands qui paieront la note.
L’arrêt des réacteurs conduira à une augmentation significative des émissions de gaz à effet de serre.
Comment l’Allemagne va-t-elle remplacer les 60 TWh qui étaient produits par les 8 réacteurs arrêtés ? Il s’agit là de réacteurs qui fonctionnaient en base. Les électricités d’origine éolienne et photovoltaïque, parce qu'intermittentes et imprévisibles à moyen terme, ne sont pas adaptéesà ce type de fonctionnement. De plus le système de l’obligation d’achat assure qu’elles sont pleinement exploitées et indisponibles pour se substituer, même partiellement aux réacteurs arrêtés. Dans les années à venir, ce sont donc les centrales fossiles émettrices de gaz carbonique qui devront faire l’effort. Actuellement, elles ne sont pas utilisées à pleine capacité en Allemagne. Ainsi les centrales utilisant la houille ne sont utilisées qu’à 45%, ce qui leur permettrait de produire 120 TWh supplémentaires. Les centrales utilisant la lignite sont davantage utilisées et ne pourraient guère produire plus de 10 à 20 TWh supplémentaires. Les centrales à gaz, elles, pourraient fournir près de 50 TWh additionnels. Par ailleurs, actuellement, l’Allemagne est exportatrice nette d'environ 20 TWh/an. Le potentiel mobilisable des centrales fossiles atteint donc au moins 180 TWh. Il est vrai, toutefois, qu’en période de pointe la mobilisation de toutes les ressources pourrait être insuffisante. En réalité, la demande de pointe en Allemagne est de l’ordre de 80 GW tandis que la puissance fossile seule atteint 82,5 GW. En ajoutant la contribution actuelle du nucléaire et celle de l’hydraulique on arrive à une puissance disponible d’environ 110 GW. Cette grande marge de puissance explique que la France puisse importer du courant d’Allemagne lors des hyper-pointes.
La production de 60 TWh par des centrales à charbon conduira à l’émission de 50 millions de tonnes de CO2, représentant environ 6% des émissions actuelles de l’Allemagne, deux fois moins pour des centrales à gaz. Toutefois, dans ce dernier cas, il faut tenir compte des émissions de méthane(CH4) sur le cycle de vie, depuis la production jusqu’à la combustion. Or l’effet de serre du méthane est 60 fois plus important que celui de CO2 pendant les 25 ans qui suivent son émission, 20 fois plus si on considère les 100 années suivant son émission. On voit donc que des fuites de gaz de quelques pour cent font perdre l’intérêt du passage du charbon au gaz en ce qui concerne l’effet de serre. Toute politique visant à diminuer les émissions en passant des centrales à charbon à des centrales à gaz doit s’appuyer sur une évaluation sérieuse et transparente des émissions de méthane.
Deux stratégies, deux modèles
L’Allemagne et la France ont donc choisi deux stratégies radicalement différentes pour la production d’électricité. Les échanges entre les tenants de deux stratégies ont tout d’un dialogue de sourds. Il serait fastidieux de reprendre ici les arguments réciproques. Pourquoi ne pas laisser l’expérience trancher, la Commission Européenne étant l’arbitre ? Oui ou non la sortie du nucléaire est-elle possible tout en réduisant les émissions de CO2 ? Il se trouve que 2020 sera une étape importante pour l'évaluation de la politique en matière de réduction des émissions de CO2 de l’Union Européenne. A cette époque la sortie du nucléaire de l’Allemagne sera pratiquement achevée. Si l’Allemagne est alors en mesure de ramener ses émissions au niveau de celles de la France, la question du nucléaire pourra être posée sur une base saine dans toute l’Europe. Dans le cas contraire, la politique énergétique européenne devra utiliser de la façon la plus efficace possible l’atout nucléaire. Dans cette compétition vertueuse, il faudra, toutefois, respecter quelques règles, en particulier pour ce qui concerne le statut des importations de courant: il ne faudrait pas que ces importations soient un moyen facile d'améliorer le bilan CO2 du pays importateur. Il faudra aussi affecter au méthane, dit gaz naturel, l’effet de serre dû à l’ensemble de son cycle.
Il est donc possible de pacifier le débat pour ou contre le nucléaire : donnons nous le temps de la réflexion et, surtout, de l’évaluation de deux politiques radicalement différentes :
- Pour diminuer ses émissions l’Allemagne devra faire un effort considérable d’économie d’énergie, développer à marche forcée ses énergies renouvelables et avancer rapidement dans la voie du captage et stockage du CO2.
- De son côté, la France devra chercher à diminuer son recours aux combustibles fossiles dans les secteurs du chauffage (gaz et fioul), de la production de chaleur industrielle, des transports (transports collectifs, hybrides électriques et électriques) et s’autorisera à poursuivre son équipement nucléaire.
En France tous les partis responsables, y compris Europe Ecologie les Verts, reconnaissent qu’on ne sortira pas du nucléaire avant plusieurs dizaines d’années. Ils acceptent donc d’en courir le risque pendant ce laps de temps. Décider d’attendre quelques années de plus pour prendre une décision définitive, informée par l’éventuel succès de la politique allemande ou, au contraire, son échec, devrait donc être acceptable par tous. Ceci permettra de concentrer les débats des futures échéances électorales sur les vrais problèmes : chômage, rôle de l’Europe, fiscalité, égalité sociale etc.
Et que le meilleur pour la protection de la planète gagne….
[1] tep: tonne équivalent pétrole égale à 11 630 kWh
[2] Ces chiffres émanent de l’Agence Internationale de l’Energie. Ils concernent les émissions de CO2 uniquement et non les autres gaz à effet de serre comme le méthane (CH4) ou le protoxyde d’azote, plus particulièrement produits par le secteur agricole et par les déchets organiques.
[3] Par comparaison les réacteurs détruits lors de la catastrophe de Fukushima totalisaient une puissance de 2,7 GW et une production de 20 TWh/an
Retrouvez ce communiqué et beaucoup d'autres articles sur des rthèmes connexes sur le site de Sauvons Le Climat : http://www.sauvonsleclimat.org/
Au lieu de discutailler à l’infini ne vaudrait-il pas mieux de faire immédiatement une expérience grandeur nature sur une zone équivalente à la taille de deux départements ou la fourniture d’électricité serait exclusivement produite par des énergies renouvelables sans CO2 ni méthane ? Si l’Allemagne ne le fait pas, ce serait à la France d’agir. La zone serait choisie en fonction du vote AUBRY à la primaire du parti socialiste. Cette zone serait découplée du réseau national et confiée à une entreprise crée spécialement. Elle bénéficierait pour son démarrage le plus rapide possible ? d’avantages tels que: prêts garantis par l’Etat, comme ça été le cas pour le nucléaire, fourniture par EDF et, au prix de revient, de l’équivalent en quantité d’énergie instantanée du total de l’énergie éolienne et solaire produite sur l’ensemble du territoire et achetée par EDF. Certes le prix de cette énergie dérogera au prix unique national, mais on saura rapidement si cette sortie du nucléaire donne satisfaction, à condition de vérifier que cette entreprise est économiquement viable à long terme.
Rédigé par : boussaroque paul 18 rue emile Montégut 87170 ISLE | 22 juin 2011 à 11h32