Hervé Nifenecker
Qui est Jeremy Rifkin ?
Un essayiste spécialisé dans la prospective économique et scientifique. Il a été diplômé en économie (BS, niveau licence) et dans les affaires internationales (niveau Mastère). Dès 1967 il s’engagea dans le mouvement alternatif américain, et est devenu un des maîtres à penser de la mouvance écologiste. Il a connu un succès mondial avec son livre « La fin du travail » publié en 1995. Il a été un avocat enthousiaste de la « civilisation de l’hydrogène ». Il est particulièrement influent en Europe où il a conseillé Romano Prodi, alors président de la C.E. et, aussi, MM.Zapatero, Socrates, Sarkozy et Mme Merkel. A n’en pas douter Jeremy est un visionnaire…Malheureusement s’il voit loin il semble être presbyte et ne pas voir de près…
Jeremy Rifkin a donné une interview très anti-nucléaire qu’on peut trouver à l’adresse :
Compte tenu de sa stature on pouvait s’attendre à un plaidoyer sérieux et argumenté contre le nucléaire. Triste déconvenue à l’écoute d’un discours arrogant, suffisant et donneur de leçons. Je voudrais répondre ici à son argumentation.
- Jeremy Rifkin rappelle tout d’abord que le nucléaire ne représente que 6% de la production d'énergie primaire. C’est vrai. Il rappelle qu’il devrait atteindre 20% pour que son rôle soit suffisant dans la réduction des émissions de CO2. C'est aussi vrai. Il en déduit que ce ne sera jamais possible et que, donc, le nucléaire est inutile dans la lutte contre l’effet de serre. Et là, Jeremy Rifkin se transforme en Docteur Gribouille. En effet, l'hydraulique ne représente que 2% de la production d’énergie primaire et les autres productions d’électricité non émettrices de CO2 (éolien, PV..) 0,8%. Si donc les 6% actuels du nucléaire le disqualifient, c’est encore plus vrai pour les énergies renouvelables. Il est plus juste de parler en terme de production d'électricité. Nucléaire et Hydraulique en produisent chacun environ 15%, les autres ENR 3%; le reste est produit par le charbon (41%), le gaz (22%) et le fioul. On voit bien que la relative faiblesse de la production d’électricité par le nucléaire et les ENR est dû à l’importance de la production à l’aide des combustibles fossiles. Si on renonce au nucléaire, il serait logique de renoncer aussi à la production d’électricité avec des ENR ! En terme d'émissions anthropiques de CO2 le charbon (utilisé essentiellement pour la production d'électricité) compte pour 41%, le gaz pour 22% et le pétrole (surtout transports) pour 37%. Remplacer la production d'électricité charbonnière et gazière par des ENR et du nucléaire diviserait par deux les émissions ! Comment oser dire alors que le nucléaire ne pourrait rien faire aux émissions de CO2? On peut, certes le craindre pour ses déchets ou ses risques, mais, au moins, rester honnête sur d'autres points.
- Jeremy Rifkin dit qu'il faudrait multiplier par trois le nombre de réacteurs pour que le nucléaire contribue suffisamment à la réduction des émissions de CO2. Et il a raison (en fait ce serait bien d'en avoir plus des 1500 qu’il calcule). Il se contente de dire que cela coûterait trop cher. C'est vrai que le nucléaire requiert des investissements très lourds. Pour un réacteur de 1 GWe produisent 8 TWh par an il faut compter 3 G€; les coûts de fonctionnement sont, eux, relativement faibles. A condition de ne pas les équiper des système de captage-stockage de CO2, une centrale à gaz coûte 3 fois moins cher en investissement, une centrale à charbon 30 à 40% moins cher. Mais, évidemment, les frais de fonctionnement (combustible) sont beaucoup plus élevés. Pour les ENR, en ce qui concerne l'investissement: pour l'éolien pour produire 8 TWh/an il faut, en étant optimiste, une puissance de l'ordre de 3 à 4 GWe. Soit, pour les éoliennes au sol entre 4 G€ et 5 G€, pour les éoliennes en mer entre 6 et 10 G€. Chiffres nettement plus élevés que ceux pour le nucléaire, avec des frais de fonctionnement légèrement plus faibles (entretien plus cher, mais pas de combustible). Donc, oui, il est tout à fait possible, financièrement, de construire 1500 réacteurs d'ici 2050. D'ailleurs la France, qu'il ne semble pas aimer, l'a bien montré dans le passé en construisant son parc en une vingtaine d'années et en produisant une électricité à faible coût. La vraie question ici est celle des réserves. Il faudra passer aux réacteurs surgénérateurs. J.Rifkin en est conscient mais agite l’épouvantail du plutonium et du terrorisme. Doit-on lui rappeler qu’il y a déjà pléthore de plutonium dans les arsenaux des USA, de la Russie, de la France, du Royaume Uni, de la Chine, de l’Inde et du Pakistan. Il n’en dit pas un mot. Quant au terrorisme, contrairement à ce qu’on dit généralement, il y a de nombreux toxiques beaucoup plus dangereux et moins difficiles à obtenir que le plutonium. Et s’il y a un risque qu’une organisation terroriste dispose d’un explosif nucléaire elle utilisera plus probablement de l’uranium enrichi que du plutonium, et, surtout il n’est pas impossible qu’elle obtienne un explosif tout fait de la part de forces militaires noyautées.
- Jeremy Rifkin reproche aux Français de ne pas avoir parlé de Fukushima ! Qu’aurait-ce été si nous en avions parlé ! Et cela il le dit avec une arrogance et une suffisance exemplaires.
- Jeremy Rifkin affirme que les centrales nucléaires consomment 40% de notre eau potable. Ce n’est plus de l’argumentation c’est de la propagande. C’est vrai que les centrales nucléaires ont besoin d’eau pour être refroidies, tout comme toutes les centrales thermiques (charbon, gaz, fioul), à cause du principe de Carnot. Les centrales nucléaires refroidies par l’eau du Rhône ne font pratiquement rien au Rhône (il retrouve sa température d’équilibre entre deux centrales). Dans certains cas, lorsque le débit de certaines rivières devient trop faible (la Vienne, par exemple), la température de la rivière monte en amont. Les normes de rejet sont fixées par le température aval acceptable. Il peut alors être nécessaire d’arrêter la centrale. Cela est vrai pour toute autre centrale thermique, nucléaire ou non. Même simplisme pour les centrales en bord de mer. L’exemple de Fukushima est, certes malheureux et il aurait été possible (en surèlevant la digue, en sécurisant les pompes de secours) d’éviter les dégâts sur les centrales. Mais le Tsunami et le séisme proprement dits n’ont pas causé de dégâts à la centrale alors qu’aux alentours tout était emporté, avec plus de 30000 morts. Il est probable qu’il n’y aura pas de morts parmi les évacués de la zone interdite (qui ne devrait pas le rester très longtemps encore). Mais bien sûr, ce n’est pas agréable d’être évacué, et les conditions du maintien de l’interdiction d’une zone interdite sont discutables. En réalité, en cas de séisme et de tsunami les riverains d’une centrale auraient tout intérêt à s’y réfugier. Un exemple : les centrales du Bugey ont été calculées pour une crue décacentenniale ajoutée à une rupture du barrage de Vouglans. Un tel évènement créerait une vague de 8 m de haut au Bugey et de 6 m de haut à Lyon. Des dizaines de milliers de morts, mais probablement aucun dans la centrale… Pour les séismes c’est du même genre. Que resterait il des villes et villages proches de Fessenheim avec un séisme de 6,5 sur l’échelle de Richter ? La centrale résisterait sans gros dégâts. Le plus dangereux pour le nucléaire (civil j’entends), c’est la peur panique qu’il produit. Et lutter contre cette peur n’est pas un problème technique….Il faudrait que nos enfants se familiarisent avec la radioactivité (qui nous entoure), en la mesurant, et en apprenant les effets, très faibles, sinon négligeables, pour des irradiations comparables à l’irradiation naturelle, soit 3 mSv/an et 200 mSv pour toute une vie.
- Rifkin rêve d’un système où chacun serait autonome. Peut être qu’on aura cela un jour, mais je ne vois pas comment. Même avec le Photovoltaïque avec batteries, comment produire assez en hiver ? Mais admettons. D’ici là que faire ? Garder des centrales à charbon (curieux, Rifkin, ne parle ni du charbon ni du gaz qui représentent près de 70% de la production électrique). Par ailleurs, le développement de la production éolienne est antithétique avec le rêve de l’autonomie. En effet, il entraîne la nécessité d’un développement extraordinaire des réseaux THT puisqu’il faut essayer de compenser l’absence de vent dans un coin par sa présence dans un autre. Le projet Desertec prévoit un réseau dense de lignes THT couvrant l’Europe et l’Afrique du Nord entières.
Si Jeremy Rifkin se présentait à un quelconque examen portant sur les questions énergétiques il risquerait, à coup sûr, un zéro pointé.
merci d'une précision... "décacentenniale" ???
je n'ai pas trouvé d'autres usages... et s'il faut comprendre tous les 10 siècles, pourquoi ne pas dire millenale ?
Rédigé par : pam | 07 septembre 2011 à 12h03
Concernant Fukushima, l'évacuation malheureusement a indiscutablement provoqué des morts. Le nombre de décès parmi les résidents de maisons de retraite est sensiblement supérieur à celui qu'il aurait été statistiquement s'ils étaient restés dans celle-ci. C'est comme pour la canicule de 2003 principalement des décès anticipés, c'est à dire des personnes qui statistiquement n'aurait vécues que quelques mois de plus sinon, mais quoi qu'il en soit le phénomène est mesurable. Qui plus est il y a eu quelques cas de suicides notables, de personnes très âgées qui refusaient la perspective de quitter leur maison et qui a un âge autour de 100 ans ne courrait aucun risque stochastique.
Apparemment aussi les dépressions et l'alcoolisme sont en augmentation chez ces populations déplacées, ce qui va provoqué une diminution de l'espérance de vie, qu'on peut s'attendre sans aucune surprise à voir certains mettre sur le dos des radiations.
Merci aussi pour votre autre article sur l'Allemagne : Une précision, un seul type de centrale peut adapter sa production à la variation très rapide de l'éolien, ce sont les centrales au gaz, celles charbon et pétrole ne s'adaptent pas aussi vite. Et une autre, le pic de production de l'éolien, c'est aux petites heures de la nuit. Et oui, exactement le moment où la consommation est minimale. 70 GW à ce moment là, c'est une absurdité absolue.
Rédigé par : jmdesp | 29 septembre 2011 à 12h37