Jean-Pierre Pervès décembre 2011
L’accord PS/Verts présente un rééquilibrage de la production française d’électricité en faveur des énergies renouvelable en limitant à 50% la contribution de l’énergie nucléaire (75% en 2010). Cette rédaction est précisée dans un accord détaillé dans lequel ont été actés la fermeture de 24 réacteurs d'ici 2025 (dont l'arrêt "immédiat" de Fessenheim), l'arrêt du retraitement et de la filière MOX (combustible), et qu’Il n'y aura pas d'études sur l'ouverture de nouvelles centrales.
Ce programme, qui a depuis été largement commenté car il impacte un secteur industriel majeur, contribuant ainsi à l’affaiblir, a été atténué, sans sortir cependant d’un flou préoccupant. Son impact économique, très lourd, est complexe à évaluer car il bouleverse un ensemble cohérent qui a été établi en 30 ans au prix d’investissements considérables en moyens de production et de distribution.
Il laisse de coté le défit majeur que représente le risque de changement climatique en privilégiant une option inefficace pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et antiéconomique. Il y a en effet peu à gagner en tonnage de CO2 émis dans le domaine de la production d’électricité en France (moins de 10%). Nos efforts devraient porter sur l’efficacité énergétique, les transports et des énergies non carbonées compétitives.
Sans hypothèses hasardeuses, en s’appuyant sur l’hypothèse d’un arrêt de 24 réacteurs sans arrêt du retraitement des combustibles usés, comme précisé ultérieurement par le PS, que peut-on dire à grandes mailles ?
- L’arrêt de 24 réacteurs en 15 ans, soit 21700 MW sur 63000, alors qu’ils sont en bon état et susceptibles de fonctionner 10 à 20 ans de plus, va faire perdre à EdF de 250 à 510 années de fonctionnement, soit de 45 à 91 milliards € de recettes aux conditions actuelles du marché. Areva pourrait parallèlement perdre environ 13 à 26 milliards € de chiffre d’affaire. C’est au total entre 58 et 117 milliards € qui disparaissent. Ces chiffres pourraient être encore plus élevés en tenant compte d’une envolée probable du coût de l’électricité en Europe, dont EdF pourrait bénéficier (surcoût des énergies renouvelables et compétition sur le charbon et le gaz).
- La mise hors service d’installations amorties et fonctionnelles obligera à investir environ 220 milliards € de plus : 78 milliards pour la production (éolien, solaire et centrales thermiques) et 147 milliards pour les réseaux de grand transport et de distribution.
- L’impact global sur notre balance des paiements atteindra de 85 à 90 milliards d’ici 2030 (importations d’équipements et de combustibles fossiles)
- Les coûts de production et distribution de l’électricité en France pourrait augmenter de 50 à 100% en fonction des hypothèses sur la taxe carbone.
- Les stratégies long terme établies de longue date, retraitement des combustibles irradiés et combustion du plutonium dans les combustible MOX, conception du stockage géologique des déchets, seront au mieux fragilisées et au pire rendues obsolètes si le combustible des centrales devait être stocké définitivement en l’état.
A ces constats bruts il faudra ajouter que les effets indirects d’un tel basculement de notre politique énergétique :
- Renchérissement de l’énergie aux dépens des plus pauvres
- Augmentation des émissions de gaz à effet de serre du parc de production de l’électricité (80 à 100%)
- Les investissements considérables consentis ne seront plus disponibles pour des projets compétitifs, tant dans le domaine de l’énergie (efficacité énergétique,…) que de l’industrie et des nouvelles technologies.
- Déséquilibre accru de notre balance commerciale
- Fragilisation de nos industries électro intensives (métallurgie, électrochimie) : 150.000 emplois menacés d’après l’Union des industries utilisatrices d’énergies
- Fragilisation d’une industrie majeure et exportatrice (EdF, Areva et leurs sous-traitants et fournisseurs d’équipements), avec réductions correspondantes d’effectifs d’un secteur qui représente 450.000 emplois.
- Mise en place d’une surcapacité de moyens production d’électricité intermittents, ces moyens étant principalement importés en ce qui concerne l’éolien et le solaire,
- Perte d’indépendance énergétique (50% actuellement) car de nouveaux moyens faisant appel aux combustibles fossiles seront nécessaires (par exemple Russie pour le gaz)
Cette décision politique électoraliste fait également peu de cas du rôle d’une l’Autorité de sûreté (ASN) indépendante qui n’a pas identifié des raisons objectives de sûreté justifiant ces arrêts prématurés.
Ne serait-il pas plus cohérent de bénéficier de l’investissement considérable que représente le nucléaire en exploitant nos réacteurs jusqu’à leur fin (économique ou sur des critères de sûreté décidés par l’ASN), et de réviser périodiquement notre stratégie pour un accompagnement optimal (économique et environnemental) des arrêts de ces réacteurs.
Article à lire : « Dans le cadre d’une politique de lutte contre les émissions de CO2 quel serait le coût d’une stabilisation de la capacité nucléaire » - Henri Prévôt – Revue de l’énergie.
Pour plus de détails, lire le Chiffrage du projet de mise à l’arrêt de 24 réacteurs nucléaires sur 58 d’ici 2025 et de réduction de 75 à 50% de la production d’électricité nucléaire en France de Jean-Pierre Pervès sur le site de Sauvons Le Climat.
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