Soyons donc sérieux. Les difficultés signalées par RTE ont des origines conjoncturelles et structurelles.
Au premier rang de celles-ci sont avancées les grèves du printemps et de l’été qui ont retardé les opérations de maintenance sur plusieurs réacteurs . En second rang, se trouve probablement, selon ce qu’on a pu comprendre des projets du nouveau patron d’EDF, Henri Proglio, le fait qu’EDF a diminué les dépenses affectées à l’entretien et à la maintenance préventive, sans doute pour se livrer à une croissance externe par rachat d’opérateurs étrangers, au point que 50% de son chiffre d’affaires est réalisé à l’étranger. Il semble aussi que la motivation du personnel ait faibli au cours des récentes années, en particulier à cause de la centralisation accrue de la gestion du parc nucléaire au détriment de la responsabilité des directeurs de centrale, et d’une financiarisation de la boussole stratégique.
Mais les causes principales des difficultés actuelles sont structurelles
Les causes structurellesUne première constatation est que les deux régions les plus menacées de pannes sont la Bretagne et la région de Nice. Aucune n’a de centrale nucléaire sur son territoire (la Bretagne ayant refusé Plogoff et Le Carnet). De plus, des groupes environnementalistes efficaces se sont opposés avec succès à l’installation de lignes THT les reliant au reste du pays. La Bretagne a vu s’envoler (!) le nombre d’éoliennes, puisque qu’une puissance éolienne nominale de 430 MW [2] y a été installée. Mais, pendant la période froide que nous venons de connaître, la puissance effective a chuté, n’atteignant que 40 MW. Alors qu’on stigmatise le nucléaire lorsque sa disponibilité est inférieure à 85%, on ne dit pas un mot de l’éolien lorsque la sienne n’atteint pas 10% ! Puisque l’éolien semble peu fiable, les docteurs Diafoirus nous proposent-ils de remplacer le nucléaire par du solaire photovoltaïque? Sous les nuages et en hiver ou même la nuit ?
La cause profonde de la tension actuelle est claire : un défaut d’investissement dans la production fiable (et « dispatchable » comme disent les gestionnaires de réseau) des centrales thermiques (nucléaires ou fossiles) ou hydrauliques.
Le dernier réacteur mis en service date de 1998, alors que, depuis 2000 la production d’électricité est passée de 541 à 575 TWh [3] (dernier chiffre pour 2008) et les exportations de 71 à 48 TWh. En d’autres termes, la consommation intérieure a augmenté de 10,5% [4] (l’équivalent de la production de 7 réacteurs nucléaires de 900 MW). Pendant ce temps, sans investissement supplémentaire, le nucléaire est passé d’une production annuelle de 415 à 440 TWh, la production renouvelable (hydraulique + éolien) de 72 à 75 TWh, malgré la construction de 3000 MW d’éoliennes (équivalent, en puissance nominale, à celle de 3 réacteurs nucléaires) et la production thermique de 53 à 60 TWh (environ 1 réacteur).
Bien entendu, les docteurs Diafoirus (on en trouve qui s’expriment dans les colonnes d’un journal du soir bien connu) ont chanté l’antienne dénonçant les 80% d’électricité nucléaire. Il s’agit là de la production moyenne sur l’année, y compris des périodes où, pour des raisons d’optimisation des coûts, le nucléaire est pratiquement la seule source d’électricité utilisée. Dans les périodes de pointe, ce qui compte, ce n’est pas la puissance moyennée sur l’année, mais bien la puissance disponible au moment considéré. Or (en 2006), la puissance du parc nucléaire ne représentait que 56% de celle du parc entier.
Les tensions observées actuellement sur la fourniture d’électricité en France sont, avant tout, la conséquence d’un manque d’investissement dans les centrales destinées à fonctionner en base et en semi-base. Puisque l’éolien n’est pas stable et que l’hydraulique est idéal pour fournir la production de pointe, ce type de fonctionnement ne peut être le fait que de centrales thermiques, nucléaires ou fossiles. Il est clair qu'augmenter la puissance de base ou de semi-base conduirait à un suréquipement pendant les périodes estivales où la consommation est plus faible et, donc à des exportations, dans la mesure du possible, à un prix probablement assez bas. A contrario les importations en période de pointe pourraient diminuer ou même devenir des exportations comme cela fut le cas jusque dans les années 2000. Mais peut-on à la fois reprocher à EDF d’exporter de l’électricité et, en même temps, l’accabler si d’aventure elle en importe ? Il faut être cohérent.Nous aimerions que ceux qui critiquent à longueur d’année l’option du tout nucléaire disent clairement qu’ils eussent préféré la construction de centrales à charbon ou à gaz (presqu’aussi polluant que le charbon, si l’on veut bien considérer l’ensemble de la chaîne, du « puits à la roue », du fait des fuites de méthane, gaz bien plus « efficace » que le CO2 pour l’effet de serre). Le choix serait enfin clair pour nos concitoyens : fossiles ou nucléaire, effet de serre ou déchets nucléaires. Il apparaît en effet, que (hormis l’hydraulique dont le rôle est, au contraire, capital en période de pointe, mais les possibilités additionnelles très limitées [5]) la production d’électricité d’origine « renouvelable » (éolienne et solaire) ne peut jouer aucun rôle dans la gestion des pointes, le vent étant à capter quand il souffle et le solaire étant en opposition de phase avec la pointe vespérale ! Notre monde n’étant pas parfait il faut faire des choix et avoir l’honnêteté de les assumer.
[1] Diafoirus, un des médecins aux prescriptions ridicules chers à Molière.
[2] 1 MW (mégawatt) = 1 million de watts.
[3] 1 TWh (térawattheure) = 1000 milliards de wattheure = 1 milliard de kilowattheure (kWh)
[4] La consommation a augmenté de 57 TWh=(575-541)+(71-48), soit un pourcentage 100x57/541=10,5
[5] L’hydraulique pourrait toutefois jouer un rôle majeur pour mieux intégrer les énergies intermittentes que sont l’éolien et le solaire, grâce au développement des stations de transfert d’eau par pompage (STEP).
Le Post « Vers la décroissance électrique » de Sauvons le Climat a le mérite de résumer de façon très concise plusieurs sujets essentiels (la disponibilité du parc nucléaire ; l’approvisionnement de régions isolées électriquement (Bretagne, Provence), le dimensionnement des moyens de production, etc.). La concision de l’exercice conduit cependant à formuler une conclusion qui me paraît essentiellement erronée :
Les tensions observées actuellement sur la fourniture d’électricité en France sont, avant tout, la conséquence d’un manque d’investissement dans les centrales destinées à fonctionner en base et en semi-base. (C’est moi qui souligne le « actuellement » et le « avant tout »).
Non, ces tensions résultent de la médiocre disponibilité du parc ; aux pics de demande des 16 et 17 décembre dernier (89 GW), la puissance nucléaire disponible n’était que 53 GW, alors que le « parc de référence » est de 63 GW ; et qu’aux pics antérieurs ces dernières années, le parc effectivement disponible était de plus de 61 GW ; c’est effectivement près de dix « tranches équivalentes » (en pondérant les 900 et 1300/1400MW) qui manquent à l’appel.
SLC rappelle bien ces indisponibilités ; j’avoue ne pas bien comprendre pourquoi elles ne sont pas considérées comme avant tout responsables des tensions observées actuellement. En tous cas ces dramatiques indisponibilités vont être responsables d’une chute sensible du résultat des activités françaises d’EDF.
Il n’est pas dans mon propos de faire la part entre les responsabilités du management, qui a espéré faire l’économie d’opérations de maintenance lourde, et de SUD qui a développé des revendications irresponsables ; mais le fait est là. Peut-on, en tenant compte de cette situation spécifique, en déduire que la solution est de construire plus de puissance de base ou semi-base.
Avant de répondre il faudrait rappeler que Flamanville 3 est en chantier, et que Penly 3 le sera bientôt. En outre la mise en service de Georges Besse II va rendre au réseau l’équivalent de trois tranches 950 MW de Tricastin (il est juste de rappeler qu’elles l’alimentent déjà l’hiver, Eurodif étant essentiellement à l’arrêt pendant les périodes de pointe de consommation.
Il faut aussi rappeler que le potentiel d’effacement des contrats EJP-Tempo n’est plus que de 1ou 2 GW, alors qu’il était de plus de 6 GW il y a quelques années : mauvais résultat d’une tarification non incitative.
En additionnant l’impact des indisponibilités de centrales, qui méritent une solution en tant que telles et non par ajout de puissance, l’arrivée de nouvelle puissance nucléaire, et le potentiel d’effacement qui pourrait facilement être restauré voire accru, le potentiel est de l’ordre de 15 GW : de l’ordre de 10 EPR.
Bien sûr, la situation va évoluer dans le futur ; la demande d’électricité s’accroît de 1,6% par an, et la demande de pointe augmente un peu plus. Mais ces taux vont-ils se maintenir après la destruction massive d’emplois industriels qu’opère actuellement notre économie.
Très franchement, je ne crois pas que notre parc manque de nucléaire ; en revanche il manque de nucléaire bien exploité (qui aime bien (EDF) châtie bien…).
Avec 63 GW en service, et 1% à 1,6% de croissance, il conviendrait d’ajouter un EPR tous les deux ans environ, mais seulement après avoir retrouvé une disponibilité satisfaisante. Ce serait déjà un très bon rythme, dans l’attente du renouvellement du parc.
Mais la priorité doit être le parc actuel, pas sa croissance.
Rédigé par : Dominique Vignon | 29 décembre 2009 à 11h25
Effectivement, il n'y aurait peut être pas eu de
problème s'il n'y avait pas eu de grève et avec quelques GW
importés. La crise économique aurait aussi aidé. Mais l'occasion était
trop
belle. Ne pas avoir lancé de construction de réacteurs entre 1992 et
2007
a été une erreur majeure. Ce qui vient de se passer à Abou Dabi
l'illustre. Je
ne répèterai pas ce qui était dit dans le communiqué SLC du 27 novembre
où il était
question de la cadence de construction de réacteurs par les Coréens. Il
y a un
mois, nous ne pensions pas avoir raison aussi vite! Par ailleurs que
se
passerait-il si l'ASN refusait de porter la durée de vie de quelques
réacteurs
à 40 ans?
Certes nous allons mieux respirer après le démarrage de GB2, de
Flamanville 3.
Mais aussi nous devons prévoir l'électrification croissante des
transports.
En supposant une augmentation de la consommation annuelle
d'électricité
de 1,5 % par an, il faudrait construire pratiquement 1 EPR tous les
deux ans.
Je pense qu'il faut enfoncer le clou.
Rédigé par : Sauvons le Climat | 29 décembre 2009 à 20h51
Effectivement, il n'y aurait peut être pas eu de problème s'il n'y avait pas eu de grève et avec quelques GW importés. La crise économique aurait aussi aidé. Il n'empêche que ne pas avoir lancé de construction de réacteurs entre 1992 et 2007 a été une erreur majeure. Ce qui vient de se passer à Abou Dabi l'illustre. Je ne répèterai pas ce qui était dit dans le communiqué SLC du 27 novembre où il était question de la cadence de construction de réacteurs par les Coréens. Il y a un mois, nous ne pensions pas avoir raison aussi vite! Par ailleurs que se passerait-il si l'ASN refusait de porter la durée de vie de quelques réacteurs à 40 ans?
Certes nous allons mieux respirer après le démarrage de GB2, de Flamanville 3. Mais aussi nous devons prévoir l'électrification croissante des transports. En supposant une augmentation de la consommation annuelle d'électricité de 1,5 % par an, il faudrait construire pratiquement 1 EPR tous les deux ans. Je pense qu'il faut enfoncer le clou.
Rédigé par : hervé | 29 décembre 2009 à 21h12