Hervé Nifenecker, Président d’honneur de « Sauvons le Climat »
Le cartel français, formé d’AREVA, GDF-Suez, EDF et TOTAL, a perdu le marché de 4 réacteurs à Abu-Dabi. Il s’agit là d’une péripétie de la véritable guerre industrielle qui se met en place à l’occasion de ce qu’on appelle la « renaissance du nucléaire ».Les réactions à ce qu’il faut bien appeler un échec de « l’équipe de France », ont été diverses : déception, arrogance, ricanements. Je n’ai eu connaissance que d’une seule expression de satisfaction, celle de Stéphane Lhomme dont la joie de voir EDF et AREVA en difficulté l’emporte sur la peine que devrait lui inspirer le développement du nucléaire dans un nouveau pays. De ce côté là les choses sont claires : ce que veut Monsieur Lhomme c’est la sortie du nucléaire français. Pour le reste peu lui chaut.
Rares ont été les réactions qui ont fait une tentative d’approche lucide des causes de l’échec de l’équipe France. La première démarche est de faire un état des forces en présence. C’est ce que nous tentons de faire ici.
La construction de nouveaux réacteurs
La renaissance n’est pas encore écrite dans le nombre de réacteurs en construction ou faisant l’objet d’un passage de commande ferme. Ainsi, AREVA est engagée dans la construction de 5 EPR1, un en Finlande, deux en France (Flamanville et, probablement Penly), et 2 en Chine. Westinghouse-Toshiba dans celle de 4 AP10002 en Chine.
En Corée du Sud 6 réacteurs de type REP3 sont en construction dont 4 OPR41000 de 1000 MW et 2 APR1400 de 1350 MW. 6 autres réacteurs de type APR51400 sont commandés. La récente commande de 4 APR1400 par Abu Dabi amène donc à 16 le nombre de réacteurs en construction ou commandés à la compagnie Coréenne KEPCO et à ses associés.
La situation de Rosatom, l’opérateur constructeur russe, semble mieux assurée que celle de ses concurrents de l’OCDE. En effet, 7 réacteurs sont en phase de construction en Russie, dont 4 réacteurs à eau pressurisée (entre 1000 et 1200 MWe), un réacteur rapide, un RBMK6. Et 11 réacteurs à eau pressurisée VVER7 1200 sont planifiés pour un démarrage d’ici 2016. Par ailleurs, Rosatom construit ou doit construire des réacteurs en dehors de la Russie : 2 en Slovaquie, 2 en Bulgarie, 1 en Iran, 2 en Inde, 1 au Kazakhstan. Ajoutons que les Russes sont devenus des leaders pour les réacteurs surgénérateurs refroidis au Sodium avec le lancement de la construction de leur nouveau RNR8 (BN8009), et, aux dernières nouvelles, une commande de 2 BN800 par les Chinois. Ceux-ci, qui « nationalisent » les réacteurs étrangers, particulièrement les français dans des collaborations qu’ils dirigent, terminent la construction de 6 réacteurs; 11 autres sont planifiés, en addition aux 6 réacteurs de Génération III qu’ils ont commandés à Westinghouse (4) et AREVA (2).
Dans le secteur de la construction de réacteurs, on voit donc que les Russes tiennent la corde, suivis par les Coréens du Sud.
On peut se demander si le choix de l’EPR par la France a été le meilleur pour l’exportation, sa puissance rendant son insertion dans des réseaux peu développés difficile et l’investissement unitaire risquant de faire reculer les investisseurs modestes. Il faut remarquer que les Russes n’hésitent pas à commercialiser des réacteurs de moins de 500 MWe, et, même, de petits réacteurs de quelques dizaines de MWe installés sur des bateaux ou encore pour produire de la chaleur. AREVA a d’ailleurs senti la nécessité de diversifier son offre puisque, avec Mitsubishi, elle propose un réacteur de 1000 MWe à mettre en service dans une dizaine d’années. Pour progresser à l’exportation la question délicate se pose de savoir si AREVA doit rester attachée aux normes de sûreté particulièrement sévères de l’UE ou accepter de s’adapter à celles des pays clients.
Les perspectives de construction de réacteurs
En Chine la construction de près de 90 réacteurs est programmée. Ce sera essentiellement les entreprises chinoises qui les construiront avec la collaboration de constructeurs étrangers comme AREVA, Rosatom et Westinghouse. Le nombre d’EPR projeté est faible, le plus grand nombre étant du type CPR100, des versions sinisées des REP 900.
Aux USA, la première étape pour envisager la construction de nouveaux réacteurs est d’obtenir la certification du type de réacteur concerné. Début 2009 4 types de réacteurs ont obtenu ce certificat : l’ASBWR, un réacteur à eau bouillante(REB) conçu par General Electric(GE)-Hitachi d’une puissance d’environ 1400 MWe, le système 80+ de Westinghouse d’une puissance pouvant atteindre également 1400 MWe, l’AP600 (600 MWe) de Westinghouse et l’AP1000 (1000 MWe, toujours de Westinghouse. Sont en cours de certification, entre autres, l’ESBR, un REB proposé par GE-Hitachi et l’EPR d’AREVA-EDF (certification attendue pour 2012). Les demandes de construction de réacteurs doivent être individuellement acceptées. 33 demandes sont en attente dont 8 EPR, 8 REB (GE), 16 REP Westinghouse et une demande non spécifiée. AREVA est ici devant une rude concurrence de General Electric et de Westinghouse et de leurs alliés japonais. En 2009 l’avenir du nucléaire aux USA n’est plus aussi clair dans la mesure où les opérateurs souhaitant avoir une assurance sur la possibilité de mener à terme leurs projets, il n’est pas sûr que l’administration Obama aille dans le sens de leur désir. Notons, toutefois, que l'administration Obama a clairement réaffirmé son soutien au redémarrage de la construction de réacteurs aux USA. Le secrétaire à l'énergie est convaincu de la nécessité du nucléaire pour lutter contre les émissions de CO2
Le Japon prévoit de construire 9 réacteurs d’ici 2019. Ils seront construits par Hitachi (REB avec GE) ou Mitsubishi (REP avec Westinghouse).
La Corée du Sud, en addition des 12 réacteurs en construction ou commandés a planifié la construction de 2 APR supplémentaires qui devraient être opérationnels d’ici 2020 et 2021.
En addition des réacteurs en construction et planifiés, 25 réacteurs sont proposés en Russie. Ils seront construits par Rosatom.
Au Royaume-Uni il est prévu de construire 8 à 9 EPR. Le marché britannique est actuellement le plus prometteur pour AREVA. Il faut y ajouter le marché italien qui est en train de se mettre en place.
L’Inde prévoit de construire 30 réacteurs en addition de ceux déjà planifiés. Ces réacteurs seront construits sous la responsabilité de la compagnie indienne NPCIL, en collaboration avec des compagnies étrangères, dont AREVA pour 3 ou 4 EPR, Rosatom pour 2 à 3 VVER (REP russe), 6 réacteurs à eau lourde de type CANDU10 (Canada) et 8 réacteurs de type REP - probablement en collaboration avec Westhinghouse-Toshiba.
Le cas de la Corée du Sud
La Corée du Sud ayant remporté le marché d’Abu Dabi il est instructif de décrire son système électrique. La puissance totale disponible en Corée atteint 77,5 GWe (90 en France). La puissance nucléaire installée est de 17450 MWe pour 20 réacteurs. A l’image de la France, la Corée a eu une politique de «coréanisation » des réacteurs REP de type Westinghouse. Les réacteurs construits à partir de 1990 l'ont été par la compagnie nationale DHICKOPC (DOOSAN HEAVY INDUSTRIES & CONSTRUCTION CO.LTD./KOREA POWER ENGINEERING COMPANY/ COMBUSTION ENGINEERING).
DHICKOPC a construit 6 réacteurs OPR1000 mis en fonctionnement entre 1998 et 2005. Ces réacteurs ont été chacun construits en moins de 6 ans. DHICKOPC construit actuellement 6 réacteurs dont 4 OPR1000 et 2 APR1400, et a 8 APR1400 en commande, y compris les 4 d’Abu Dabi.
Jusqu’en 2001 le système électrique était géré par un monopole d’état, KEPCO, qui jouait un rôle très semblable à celui d’EDF. A partir de 2001 une procédure de privatisation fut mis en place. KEPCO garde le monopole de la transmission et de la distribution; le parc nucléaire et une faible part de l’hydraulique sont regroupés dans la compagnie KHNP (Korean Hydraulic and Nuclear Power). La KHNP est le troisième plus gros exploitant de réacteurs nucléaires après EDF et l’exploitant russe. La commande d’Abu Dabi a été passée à un consortium piloté par KEPCO, comprenant KHNP et DHICKOPC et d’autres compagnies coréennes comme Samsung, Hyundai etc.
Les 4 réacteurs achetés par Abu Dabi l’ont été pour un coût de 20 milliards de dollars, soit environ 3,5 milliards de dollar par GWe, ou 2,3 milliards d’euros par GWe. Ce chiffre est à comparer aux coût de l’EPR Framatome annoncé pour environ 3 milliards d’euros par GWe. Cette différence de prix, largement due au renchérissement de l’euro par rapport au dollar a , sans doute, joué un rôle dans le choix des Emirats Arabes Unis. Mais il aussi clair que les déboires du chantier finlandais n’ont pas fait bon effet. Enfin, avant ce dernier et celui de Flamanville et depuis 1998, les seuls chantiers menés à bien par AREVA ont été ceux de Lingao 1 et 2 en Chine (terminés en 2002 et 2003). Pendant cette période les Coréens ont terminé 6 réacteurs.
En résumé, on voit qu’AREVA et la France, s’ils restent et resteront d’importants constructeurs des réacteurs de ce qu’on appelle la Génération III, sont loin d’être les seuls acteurs. Ce sont probablement les Russes et les Chinois qui construiront le plus grand nombre de réacteurs dans les décennies qui viennent. Et les Coréens, General Electric et Westinghouse avec leurs alliés japonais ne se feront pas oublier. Pour renforcer les chances des Français il faudrait que cessent les querelles de préséance entre AREVA, ALSTOM et EDF. Et, comme pour les équipes sportives, le soutien des médias et de l’opinion ne serait pas superflu. Il y va de dizaines de milliers d’emploi en France.
1 European Pressurized Reactor. REP génération 3
2 Réacteur de type REP génération 3
3 Réacteur à Eau Pressuriée ou PWR (Pressurized Water Reactor)
4 Optimized Pressurized Reactor
5 Advanced Pressurized Reactor
6 Réacteur de type Tchernobyl, ralentisseur graphite, caloporteur eau
7 Réacteur REP développé par les Russes
8 Réacteur à Neutrons Rapides
9 RNR refroidi au Sodium (d’un type semblable à Phénix et Superphénix) de 800 MWe
10 Réacteur à Eau Lourde, spécialité canadienne.
Regardez bien la première ligne de haut de page :
En très très gros caractères :" Le blog de Sauvons Le Climat"
Il ne s'agit donc pas d'un forum où chacun peut engager un nouveau sujet (thread) .
Il s'agit d'un blog où chaque thread ne peut être émis que via l'administrateur.
Donc avec contrôle et donc , quoiqu'en disent les avertissements de pure forme , avec l'aval de l'Administrateur.
Regardez maintenant la seconde ligne : en gros caractères : "Priorité au climat"
Lisez alors le sujet :
guerre industrielle qui se met en place
échec de l’équipe de France
échec de l’équipe de France
les Russes tiennent la corde
Le marché britannique est actuellement le plus prometteur pour AREVA
les déboires du chantier finlandais n’ont pas fait bon effet
Pour renforcer les chances des Français il faudrait que cessent les querelles de préséance entre AREVA, ALSTOM et EDF
Où apparaît, même à l'état de trace, la "Priorité au climat" dans ce texte ?
Texte au demeurant fort intéressant mais qui s'inscrit dans un tout autre objet que l'on peut intituler soit Quelle Stratégie Commerciale pour le nucléaire ?
ou plus simplement Comment promouvoir le nucléaire français ?
Cela entretient vraiment une confusion des genres assez dommageable.
Rédigé par : CA | 07 janvier 2010 à 22h09
Etant un des fondateurs de Sauvons le Climat je crois savoir quel est
l'esprit de ce blog. Supposez que, par miracle, une entreprise
française de fabrication d'éolienne (ce pourrait être Vergnet, et qui
sait AREVA) emporte un gros contrat pensez vous qu'il serait déplacé de
s'en féliciter? Peut on prôner la réduction des émissions de CO2 et
rester fier des réussites françaises et déçu des échecs? Les questions
climatiques et énergétiques sont indissolublement liées. Et les
questions énergétiques ne sont pas seulement éthérées. Elles
s'incarnent dans des entreprises et des hommes.
Rédigé par : nifenecker | 08 janvier 2010 à 11h28
Je tiens à préciser que je m'exprime ici à titre personnel sans engager
SLC. Pourquoi faut-il que vous utilisiez le dénigrement et la
diffamation? Non seulement SLC n'a jamais attaqué Vergnet mais l'a,
au contraire, cité comme exemple de la réussite technique d'éoliennes
très bien adaptées aux régions tropicales où il existe des risques de
cyclone (les éoliennes de Vergnet d'un puissance limitée peuvent se
coucher si le vent devient trop fort). Je ne connaissais pas ce succès
commercial auquel vous faites allusion, mais je m'en réjouis tout à
fait. SLC n'est absolument pas hostile à l'éolien là où celui-ci permet
de diminuer le recours aux centrales utilisant des combustibles
fossiles. Il est aussi une bonne solution dans le cas des îles
(Antilles, Corse). Par contre SLC est contre la pratique de
l'obligation d'achat qui conduit à une bulle financière et à
l'affairisme, et n'encourage pas le progrès technique.
Rédigé par : nifenecker | 08 janvier 2010 à 22h43
le titre de l'article est "La compétition nucléaire : état des forces" . . .
Rédigé par : Romain | 15 janvier 2010 à 13h57
Le nucléaire Français et Européen a et conserve des années d'avance. Un EPR ne se construit pas comme ça. On le voit.
Il n'est pas possible non plus d'imaginer que seules les entreprises françaises pourraient construire toutes les centrales dont nous allons avoir besoin. Il est temps de s'y remettre à fond en Europe, y compris sur les surrégénérateurs
Rédigé par : cleopatre | 08 mars 2010 à 09h54