Cher Michel de Pracontal,
Nous savons que vous avez une sensibilité
anti-nucléaire, ce qui est évidemment votre droit. Jusqu'à présent vos
analyses nous paraissaient sérieuses et posaient souvent de bonnes
questions. Votre dernier article sur "Les mythes et les chiffres" du
nucléaire, paru dans Le Nouvel Observateur du 4 au 10 Décembre, nous a
surpris et déçus. Il repose sur l'étude du soi-disant "expert international" Mycle Schneider,
vieux militant anti-nucléaire bien connu, expert surtout dans la
manipulation des chiffres et la mauvaise foi. Il a récemment commis un
rapport de 40 pages pour le compte des Verts Allemands qui sont sur
la défensive devant les difficultés que rencontre la politique
allemande de sortie du nucléaire.
Première découverte : le nucléaire
n'économise pas de pétrole. Grande découverte, en effet, puisque le
nucléaire permet de produire de l'électricité, alors que bien peu de
voitures roulent à l'électricité (ce qui, espérons le, changera dans un
avenir pas trop lointain).
Est-ce à dire que la France n'a pas
fait d'économie de pétrole en se tournant vers le nucléaire. Avant le
choc pétrolier de 1973 le pétrole était si bon marché que les
centrales à fioul étaient les plus compétitives. Ayant achevé
l'équipement hydraulique du pays et les mines de charbon françaises
fermant les unes après les autres, EDF s'était lancée dans un grand
programme de construction de centrales à fioul au point qu'elles
assuraient déjà 34% de la production électrique en 1973 (70 TWh), le
charbon n'en représentant plus que 15% et l'hydraulique 28%. Cette
montée en puissance des centrales à fioul était d'ailleurs observée
dans le monde entier. Le choc pétrolier mit un frein brutal à cette
course, la plupart des éta! ts se repliant soit sur le charbon (USA,
Danemark) soit sur le nucléaire (France, Suède, Suisse) soit sur les
deux (RFA, Belgique) . Ce n'est qu'à la fin des années 1990 qu'on vit
se développer l'usage massive du gaz pour la production d'électricité.
Ce sont donc le charbon et le nucléaire qui se substituèrent au
pétrole. C'est bien dans cette mesure qu'on peut affirmer que le
nucléaire a permis d'économiser du pétrole. Sur
la lancée d'avant 1973 on peut estimer que les centrales à fioul
auraient produit 300 TWh supplémentaires conduisant à une augmentation
de la consommation de pétrole d'environ 80 millions de tonnes par an.
Une paille !
Sans doute, pour vous et vos amis, il aurait fallu que la France
choisisse le charbon (qu'elle aurait dû importer en presque totalité).
C'est ce qu'a fait l'Allemagne dans un deuxième temps, dès la fin des
années 1970 (la dernière commande de réacteur en Allemagne date de
1980). Il est donc fort intéressant de comparer les performances
environnementales de la France et de l'Allemagne, ce que nous ferons
plus loin.
Deuxième découverte: le Nucléaire ne
représente que 16% de la consommation d'énergie et, donc, ne présente
d'intérêt ni sur l'approvisionnement énergétique ni sur les rejets de
gaz à effet de serre.
Cet argument repose sur une stupidité: celle qu'il y a de se référer à la consommation finale pour estimer le poids du nucléaire
(et du charbon aussi, d'ailleurs) dans le système énergétique. La
consommation finale d'énergie correspond, en effet, à l'énergie
qu'achètent les consommateurs. Bien entendu, si tous achètent de l'électricité, aucun d'entre eux n'achète d'énergie nucléaire,
et très peu du charbon, uniquement pour le chauffage. La consommation
finale ne prend pas en compte la consommation d'énergie du secteur
énergétique (production d'électricité, raffinage du pétrole, transport
de l'énergie jusqu'au destinataire finale). Or le secteur de l'énergie
est, de loin, le plus gros consommateur d'énergie, en particulie! r
pour la production d'électricité. Ainsi, pour la France, la consommation d'énergie du secteur de production d'électricité atteint près de 85 millions de tep, à comparer à 52 millions de tep pour le poste transport, le deuxième dans l'ordre d'importance.
Ceux qui utilisent à tort le concept de consommation finale pour
évaluer l'importance du nucléaire (ou du charbon) ont une excuse de
taille : la première présentation fautive a été le fait de la Mission Facteur 4 présidée par Christian De Boissieux (1).
C'était un artifice utilisé pour minimiser le rôle du nucléaire et le
mettre ainsi hors discussion de manière à ce que Greenpeace et ses
alliés acceptent de participer aux débats. Notons que la mise hors
sujet du nucléaire a été faite également lors du Grenelle de
l'Environnement (cachez ce nucléaire que l'on ne saurait voir !).
A l'échelon mondial les deux tiers de l'électricité sont produits par
des centrales thermiques à flamme, au premier rang desquelles les
centrales à charbon pour 40%. Or, le charbon est responsable de 42%
des émissions de CO2 du secteur énergétique (plus que les 38% du
pétrole). Pratiquement le charbon n'est plus utilisé que pour la
production d'électricité.
Alors, cher
Michel (avec l'aide de votre mentor Mycle Scheider si vous voulez),
expliquez nous comment, alors que la part de l'électricité dans la
consommation finale d'énergie dans le monde n'est que de 16,6%, le
charbon peut être responsable de 42% des émissions de CO2. Nous attendons votre démonstration avec beaucoup d'intérêt.
On nous cite bien souvent les performances environnementales de
l'Allemagne dont les choix ne semblent pas avoir fait l'objet de la
critique du maître à penser Mycle Schneider. Selon votre maître la
France serait une grande gaspilleuse d'énergie, et, très
spécifiquement, d'électricité. Le Tableau 1 permet de se faire une
opinion sérieuse sur ce point : il donne quelques données
représentatives des systèmes énergétiques français et allemands.
Tableau 1
|
|
Consommation
finale
tep/tête
|
Consommation
primaire tep/tête
|
Electricité tep/tête
|
Consommation primaire
charbon+gaz tep/tête
|
Consommation primaire
nucléaire tep/tête
|
CO2 tonnes/tête
|
France
|
2,81
|
4,4
|
0,58
|
0,88
|
1,88
|
6,2
|
Allemagne
|
3,17
|
4,17
|
0,54
|
1,97
|
0,52
|
10,2
|
Première surprise, la consommation finale
(qui vous est si chère) par tête est notablement plus faible pour les
français que pour les allemands (de près de 12%). Or la consommation
finale est bien celle que nous payons. Les français, en dépit du
nucléaire, sont plus économes que les allemands! Dans cette
consommation finale les français dépensent un peu plus d'électricité
que les allemands ( environ 7%)(2), mais, bien entendu, cela
signifie qu'ils consomment moins d'autres source d'énergie (gaz,
fioul, carburants). Si on retient les consommations primaires on
constate que la France consomme, par tête, 2,2 fois moins de charbon et
de gaz que l'Allemagne. Ceci est compensé par une consommation de
nucléaire 3,6 fois plus importante pour la France que pour
l'Allemagne. Et le résulta! t est là : les français émettent 62% moins de CO2 que les allemands. Est-ce amnésie de n'en n'avoir pas parlé, cher Michel ?
Nucléaire et indépendance énergétique.
Nous ne nous attarderons pas sur le ridicule des calculs
d'indépendance énergétique appliqués aux ressources d'uranium.
Simplement nous croyons plus confortable de dépendre de l'achat, chaque
année, de quelques 10000 tonnes d'uranium dans des pays comme
l'Australie et le Canada que de devoir compter sur une importation de
quelques 40 milliards de mètres cube de gaz de Russie (c'est le cas de
l'Allemagne). Ajoutons que la France a, sur son sol, des gisements
d'uranium qui pourraient être, éventuellement, remis en exploitation.
Dans l'état actuel des choses une telle démarche ne se justifierait
absolument pas sur le plan économique. Enfin le prix de l'uranium
naturel est une faible fraction de celui du kWh nucléaire (de l'ordre
de 5%).
Voici pour les chiffres. Pour les mythes constatons que ceux véhiculés par les Verts Allemands ont conduit leur pays dans une impasse écologique,
lui laissant le choix d'accepter une taxation du carbone qui ruinera
ses producteurs d'électricité ou de renoncer aux objectifs de
diminution des émissions fixés par l'UE.
Quel débat?
Vous regrettez que n'ait pas eu lieu un grand débat démocratique sur
les choix énergétiques du pays. Nous avons participé à plusieurs débats
de ce type, que ce soit celui sur l'énergie organisé par Nicole
Fontaine, ceux sur l'EPR et les déchets nucléaires. Les opposants au
nucléaire, bien qu'invités, n'ont jamais accepté de participer à ces
débats. Le parlement s'est souvent , quant à lui, prononcé sur les
programmes d'investissement énergétiques. Mais nous supposons que ces
débats parlementaires ne comptent pas à vos yeux. On serait curieux de
savoir ce que vous appellez un grand débat démocratique. Mais c'est
vrai que tout n'est pas parfait : l'arrêt de Superphénix s'est fait
sans débat et contre l'avis de la majorité des parlementaires. Le
développement de l'&ea! cute;olien n'a pas donné lieu, malgré de
nombreuses demandes, à l'organisation d'un débat par la Commission
Nationale du Débat Public. Si l'EPR a fait l'objet d'un débat
spécifique, rien de tel n'a été organisé sur la programmation des
centrales à combustibles fossiles qui auront pourtant une puissance
égale à celle de 4 EPR.
Mais pour terminer sur un ton constructif, nous
vous proposons ainsi qu'au Nouvel Observateur d'organiser, sous le
contrôle d'un arbitre impartial (par exemple un des présidents des
débats nationaux cités ci-dessus), un débat sur l'énergie sous tous ses
aspects, y compris le nucléaire. Nous sommes prêts à y participer.
(1) citation du rapport "facteur 4" : "le
nucléaire : l’énergie nucléaire en Europe représente 6% de l’énergie
finale, 2% dans le monde, 17% de l’énergie finale en France. Au vu des
ces pourcentages, il n’apparaît pas justifié, pour bâtir une stratégie
climat, de centrer le débat sur l’énergie nucléaire."
(2) Au premier trimestre 2007 (dernières valeurs dont nous
ayons connaissance) les particuliers allemands payaient leur kWh
environ 0,14 euros, les français 0,10 euros. Avec une telle différence
de prix on aurait pu s'attendre ce que les français consomment
beaucoup plus d'électricité que les allemands. En dernière analyse on
voit que les français se sont montré fort raisonnables...
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